Nouvelles du monde entier


Programme chargé pour Vincent Ravalec en ce début d'année : "Wendy² ou les secrets de Polichinelle", roman inscrit dans le cycle du Jeu sort chez Flammarion, "Une orange roulant sur le sol d'un parking", recueil esthético-poétique au Diable Vauvert et ce premier tome des "Nouvelles du monde entier" récits de voyages intérieurs/extérieurs au Seuil.

Ajouté à tout ça, deux documents initiatiques à paraître au mois de mars, et côté littérature chamanique, je suis soulagée de constater que 2004 ne sera pas simplement une cuvée Harry Potter.

Comme il l'explique non sans humour dans une lettre à la presse, Ravalec préfère concentrer sa présence que se disperser, et la puissance psychédélique de cette flambée d'énergie imprimée sur papier démontre la pertinence de sa volonté.

Et pourtant, cet intarissable écrivain trouve encore le temps de voyager, partout, beaucoup et avec les meilleurs compagnons d'odyssée. C'est aux détours du globe, dans des contrées improbables et des dimensions inconnues que les nouvelles du monde entier ont germé dans l'esprit fertile d'un homme qui a toujours été le Corto Maltese des univers de la conscience.
Il était un petit navire qui parcourait le monde, trempait sa proue dans des mers aux noms différents et qui voguait parfois sur des eaux bien étranges...


La terre est ronde… mais l'univers est plat.


Orfèvre reconnu en matière de titres, Ravalec contribue une nouvelle fois au genre avec "El chaman kiffos los Schtroumpfos", réjouissante formule qui suscite des frissons de plaisir dans le cortex, tant des adeptes de Terrence McKenna que de Peyo. Et pourtant, ce n'est pas de peyote qu'il va s'agir, mais d'un breuvage plus secret des jungles de l'Amazone, nommé Ayahuesca… Rares sont les auteurs romanesques à aussi bien connaître le fond de leurs sujets d'ailleurs, avec Ravalec c'est l'immersion totale dans les effets psychiques de la plante.

Mais bien que clairement présent tout au long des nouvelles du recueil, le message initiatique n'est pas uniquement pédagogique. C'est la force de Ravalec : implanter des paumés aussi attachants que pitoyables dans des contextes dangereusement magiques, emmener dans ses lieux de pouvoir des personnages risibles qui tentent d'échapper à leur médiocrité avec une honnêteté intense qui fait froid dans le dos.
Le mariage alchimique du trivial et du sacré, sous le signe de l'humour trash et éclairé.
Et il est vraiment facile de se reconnaître dans ces incorrigibles avatars.

"[…], notre petite équipée, qui depuis le début avait ce je ne sais quoi d'un peu pathétique, s'est soudain trouvée dotée de la touche de ridicule qui lui manquait."

Aujourd'hui, signe du succès de l'ethno-tourisme et constat de vacuité spirituelle des classes moyennes occidentales, on rencontre moins de marginaux sur les plages indiennes ou chez les Chipibos, et plus de quarantenaires qui font le point avec leurs espérances brisées, leurs illusions tenaces, et qui trouvent encore le moyen d'accumuler du mauvais karma.

"Je me suis demandé pourquoi l'existence, si riche en curiosités, nous avait fait si convenus et si conformes au cliché de nos personnages respectifs."

Enfin rassurez-vous, Ravalec n'est pas soudain devenu fréquentable, il raconte toujours le destin des cas sociaux rescapés de son passé intérieur : transexuel toxicomane sur le retour du nom de Tata Prout flanqué d'Akim jeune délinquant de banlieue hispanophone, hippie Goa freak déglinguée armée d'un Polaroïd qui n'entend plus la techno, réalisateur de porno dans la belle ville de Budapest, troupe de comédiens novices en tournée vers le cœur de l'Afrique, un vrai défilé mi Tarantino, mi Almodovar.

Muchas visiones

Comme pour sa série des "Arts Magiques" diffusée dans l'émission Midnight+, Ravalec raconte de Saï Baba à la grande pyramide, du zen aux mégalithes, du Gange à la fondue savoyarde, comment se joue la vie depuis sa perspective philosophico-existentielle de néo-Tintin globe-trotter, à savoir le rôle et la position du "bipède moyen incarné dans un monde de matière" vis à vis des entités qui tirent les ficelles.

Les dieux étranges de l'astral, les grands serpents lumineux sous l'illusoire surface des choses jouent de l'espèce humaine comme d'un harmonica et trouvent parfois leur intérêt à la visite psychique de l'apprenti chaman occidental, si facilement effarouché...

"[...] une forme de notre incapacité à être réellement et de notre propension à nous mouvoir dans ce mensonge permanent qu'est l'existence, comme le déguisement consolatoire de cette autre dimension qui nous échappe et que, depuis toujours, l'homme appelle la lumière."

Comment s'extirper du mensonge d'une existence ratée ? Les persos de Ravalec ont beau courir au bout du monde pour trouver des réponses ou se (re)(dé)construire, ils s'emmènent partout dans leurs bagages chargés de leurs défauts.

Décidément, le capitaine de ce très joli atlas ésotérique fait preuve de belles idées originales, sait évoquer des images saisissantes pour illustrer le grotesque et le tragique des vies humaines confrontées à l'inconfort de l'exotique authenticité.

De quoi éclairer le voyageur, qui lira sûrement ce recueil en montée, à bord d'un avion ou de l'express neuronal de 23h.

Stig Legrand - Janvier 2004

Vincent Ravalec, "Nouvelles du monde entier", Le Seuil, septembre 2003, 304 pages - 18 Euros ISBN : 2020478293

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