Villa Incognito


Il était une fois, jadis au Japon, une créature des bois qui possédait la ruse du renard Kitsune, l'appétit sans retenue de Coyote, et les énormes couilles de…

De qui au fait ? Quel personnage mythique pourrait bien comparer la convexité festive de ses virils attributs à la magnificence des bourses surdimensionnées de Tanuki, l'hédoniste tanuki ?

Oui, la troublante idole qui veille sur les restaurants Tokyoïtes, portant parfois masque de blaireau, parfois figure humaine, promène sa fringale de jolies femmes, de mauvais tours et de saké maison dans le dernier roman de Tom Robbins.

Certains disent qu'il s'agit d'un conte de fée, mais voyez plutôt comment la fiction influe sur la réalité !

Pla-bonga !
"It has been reported that Tanuki fell from the sky using his scrotum as a parachute"

Le panthéon des Ancêtres Animaux du folklore japonais étant ce qu'il est, c'est un cocktail de caprice, intrigue, malentendu et pure jalousie qui précipite dès les premiers chapitres la descendance sang mêlée de Tanuki dans une course folle sous la plume de l'auteur des Cowgirls bluesy, et des Féroces infirmes, pour ceux qui n'ont encore lu Tom Robbins qu'en version française. Le format court de Villa Incognito, regretté par les fans de l'écrivain le plus dangereux du monde (selon sa dernière édition française), pourra servir de passerelle vers une première lecture en version originale. Et c'est loin d'être un aspect négligeable car l'écriture de Tom Robbins est si particulière, son humour si bien enraciné dans le vocabulaire américain qu'on découvre enfin dans sa langue, la vraie saveur de son esprit. Là-bas, on dit "phosphore linguistique".

Toc ! Toc ! Qui est là ?

Si vous ouvrez la porte pour filer le tanuki, vous allez rencontrer Lisa, mystérieuse et séduisante femme à la graine de chrysanthème enfoncée dans la muqueuse rose de son palais, un héritage transmis de mère en fille de génération en génération.

Si vous arrivez au village Hmong de Fan Nan Nan, en suivant ce morceau Janis Joplinisé de votre cœur, vous serez accueilli dans les quartiers d'hiver des gens de "la Vallée du Cirque" où des clowns sexy savent faire tomber les masques et les petites culottes.

Si en suivant les funambules, vous osez traverser sur un fil, l'abîme tout en haut du Laos, Mars Stubblefield, Dickie Goldwire et Dern Foley, les trois vétérans du Viet Nam disparus en mission avec leur B52, vous ouvriront peut-être la porte de la Villa Incognito. Et là, vous finirez impliqué dans un trafic d'héroïne, qui devrait vous poussez à remettre vos valeurs en question.

Le thème de l'identité et des fausses moustaches

Tom Robbins partage avec Michel Houellebecq un intérêt pour les jolies Thaïlandaises et ils subissent tous deux une attraction géographique vers Patpong. Là s'arrête le parallèle car chez Robbins, le sexe est gaiement décomplexé. Cependant, malgré quelques attitudes surprenantes de certains personnages dans l'univers de l'écrivain à l'esprit le plus ouvert des environs de Seattle, les thèmes sous jacents de Villa Incognito ne s'écartent pas du courant libérateur qui traverse toute l'œuvre de l'auteur.

Gurus des digressions philosophiques et politiques, les personnages de Tom Robbins repoussent toujours plus loin les limites de leur imagination au service de la révolution des idées. Ici superficiellement, la défense de l'opium, plus en profondeur la responsabilité de chacun quant à sa gestion de la douleur.

Seront écornées les illusions éculées comme la religion, le patriotisme, l'économie, la mode… Seront explorés les tabous de la séduction, les abus de pouvoir et "l'attrait de l'illumination par delà toutes autres tentations".

Rares sont les lecteurs avertis de Tom Robbins qui choisirait Villa Incognito comme son meilleur roman, mais cet intermède qui fleure le koan zen aide à patienter jusqu'à la prochaine histoire.

Pour conclure, cette mise en situation parisienne du Tanuki offre un bon exemple du style inimitable signé Tom Robbins : "Imagine the faux badgers in the pine woods of the alpine foothills. Picture un tiny contingent of them actually taking clandestine residence among the shrubs and rocks of Paris's Bois de Boulogne. Picture Himself, late at night, scampering on all fours like one of those chubby little mutts Parisians adore, scooting down Boulevard Saint-Germain, weaving in and out among the legs of shadows, snatching pommes frites off the tables of sidewalk cafés, maybe even darting into Les Deux Magots to yank a freshly decorked bottle of Hermitage Côte du Rhône from the grasp of some literary luminary such as Gérard Oberlé or Jean Echenoz ; draining it behind a clump of rose bushes in the darkened Jardin du Luxembourg…No. No."


Stig Legrand - Janvier 2004

VO
Tom Robbins, "Villa Incognito", Bantam Books, May 2003, 241 pages; 24 US$ / 36 $ CAN ISBN : 0-553-80332-8

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