Pla-bonga !
"It has been reported that Tanuki fell from the sky using his scrotum
as a parachute"
Le panthéon des Ancêtres Animaux
du folklore japonais étant ce qu'il est, c'est un cocktail de caprice,
intrigue, malentendu et pure jalousie qui précipite dès les premiers
chapitres la descendance sang mêlée de Tanuki dans une course folle
sous la plume de l'auteur des Cowgirls bluesy, et des Féroces infirmes,
pour ceux qui n'ont encore lu Tom Robbins qu'en version française. Le
format court de Villa Incognito, regretté par les fans de l'écrivain
le plus dangereux du monde (selon sa dernière édition française), pourra
servir de passerelle vers une première lecture en version originale.
Et c'est loin d'être un aspect négligeable car l'écriture de Tom Robbins
est si particulière, son humour si bien enraciné dans le vocabulaire
américain qu'on découvre enfin dans sa langue, la vraie saveur de son
esprit. Là-bas, on dit "phosphore linguistique".
Toc ! Toc ! Qui est là ?
Si vous ouvrez la porte pour filer
le tanuki, vous allez rencontrer Lisa, mystérieuse et séduisante femme
à la graine de chrysanthème enfoncée dans la muqueuse rose de son palais,
un héritage transmis de mère en fille de génération en génération.
Si vous arrivez au village Hmong
de Fan Nan Nan, en suivant ce morceau Janis Joplinisé de votre cœur,
vous serez accueilli dans les quartiers d'hiver des gens de "la Vallée
du Cirque" où des clowns sexy savent faire tomber les masques et les
petites culottes.
Si en suivant les funambules, vous
osez traverser sur un fil, l'abîme tout en haut du Laos, Mars Stubblefield,
Dickie Goldwire et Dern Foley, les trois vétérans du Viet Nam disparus
en mission avec leur B52, vous ouvriront peut-être la porte de la Villa
Incognito. Et là, vous finirez impliqué dans un trafic d'héroïne, qui
devrait vous poussez à remettre vos valeurs en question.
Le thème de l'identité et des fausses moustaches
Tom Robbins partage avec Michel
Houellebecq un intérêt pour les jolies Thaïlandaises et ils subissent
tous deux une attraction géographique vers Patpong. Là s'arrête le parallèle
car chez Robbins, le sexe est gaiement décomplexé. Cependant, malgré
quelques attitudes surprenantes de certains personnages dans l'univers
de l'écrivain à l'esprit le plus ouvert des environs de Seattle, les
thèmes sous jacents de Villa Incognito ne s'écartent pas du courant
libérateur qui traverse toute l'œuvre de l'auteur.
Gurus des digressions philosophiques
et politiques, les personnages de Tom Robbins repoussent toujours plus
loin les limites de leur imagination au service de la révolution des
idées. Ici superficiellement, la défense de l'opium, plus en profondeur
la responsabilité de chacun quant à sa gestion de la douleur.
Seront écornées les illusions éculées
comme la religion, le patriotisme, l'économie, la mode… Seront explorés
les tabous de la séduction, les abus de pouvoir et "l'attrait de
l'illumination par delà toutes autres tentations".
Rares sont les lecteurs avertis
de Tom Robbins qui choisirait Villa Incognito comme son meilleur roman,
mais cet intermède qui fleure le koan zen aide à patienter jusqu'à la
prochaine histoire.
Pour conclure, cette mise en situation
parisienne du Tanuki offre un bon exemple du style inimitable signé
Tom Robbins : "Imagine the faux badgers in the pine woods of the
alpine foothills. Picture un tiny contingent of them actually taking
clandestine residence among the shrubs and rocks of Paris's Bois de
Boulogne. Picture Himself, late at night, scampering on all fours like
one of those chubby little mutts Parisians adore, scooting down Boulevard
Saint-Germain, weaving in and out among the legs of shadows, snatching
pommes frites off the tables of sidewalk cafés, maybe even darting into
Les Deux Magots to yank a freshly decorked bottle of Hermitage Côte
du Rhône from the grasp of some literary luminary such as Gérard Oberlé
or Jean Echenoz ; draining it behind a clump of rose bushes in the darkened
Jardin du Luxembourg…No. No."
Stig Legrand - Janvier 2004