Vernon God Little


Les mésaventures de Vernon Gregory Little commencent sous des hospices défavorables : en sous-vêtements défraîchis dans une cellule du bureau du shérif Porkorney, l’adolescent frotte d’un air songeur l’encre incrustée dans ses empreintes digitales.

A Martirio, capitale Texane de la Sauce Barbecue, même la poussière ne prend plus la peine de se lever tellement l’air est lourd. Ce qu’on trouve à Martirio se résume à du pétrole, quelques lapins et toute une tripotée de Guries. Justement, en voilà une qui passe pesamment devant les barreaux de la cage, les bras chargés de sa quadruple ration de travers de porc barbecue : Vaine Gurie, shérif adjointe et rejeton obèse de cette branche décadente et consanguine des Guries du Texas.

Ca ne va pas fort pour le jeune Vernon. Son meilleur ami, Jesus, vient de se faire exploser la cervelle après une fusillade qui a occis une quinzaine d’élèves de leur classe. Et la bourgade tout entière, Vaine Gurie en tête, va considérer Vernon comme complice sinon responsable de la tragédie.

Normal times just ran howling from town. Probably forever.

Lorsque l’adjointe du shérif cesse de suçoter ses côtelettes, de ronger ses os pour cracher des questions, l’interrogatoire préliminaire prend des allures surréalistes. La philosophie policière régionale est plus retorse qu’on pourrait le croire, et Vaine s’évertue à transmettre au prévenu sa vision des principes premiers à coup de métaphores édifiantes. Partagé entre les réparties moqueuses qui lui traversent la tête et l’instinct de préservation qui lui bride la langue, Vernon demeure poli et concis, confiant comme on peut l’être à quinze ans, dans le fait que la vérité finira par éclater. Bientôt, les médias nationaux seront sur les lieux, et la ville aura son quart d’heure de célébrité sous les projecteurs. Il sera alors temps de voir la justice à l’œuvre…

Deep fucken trouble keeps my euphoria at bay.

En attendant, alertée par la rumeur, Palmyra, meilleure copine de sa maman, ne s’en laisse pas compter et extrait Vernon du commissariat d’une poigne robuste, direction la Grange Bar-B-Chew à bord de sa vieille Mercury. Sous ces latitudes, on trouve plus facilement le réconfort en piochant dans un carton géant de poulet frit qu’en comptant sur sa proche famille. Particulièrement lorsque sa maison devient le quartier général de la désinformation. En effet, Eulalio Ledesma, minable présentateur télé à l’affût d’un scoop a investi les lieux, pour le plus grand plaisir de la mère de Vernon. Sans oublier la présence quotidienne dans le salon de la bande de commères qui se dispute les faveurs du viril Eulalio. Révélations et scandales se succèdent sur le petit écran, sitôt orchestrés par Ledesma, sitôt avalés par l’opinion publique, sous les yeux incrédules du jeune prévenu. Désormais, sa vie a tout d’un téléfilm et ne lui appartient plus. Et quand la vie devient un sujet de reportage pour Fox News ou TF1, il y a danger. Que faire alors sinon tenter de s’enfuir vers la plage de ses rêves, sur le littoral mexicain ?

All I whiff is the scent of lumber being cut for a fucken cross.

Sarcastique, tiraillé par les poussées hormonales de son âge, Vernon n’est pas un ange. C’est juste le gosse d’un bled perdu à la frontière des Etats-Unis et du Mexique, élevé devant South Park. Mais sous les doigts de DBC Pierre, il raconte de sa voix acide son expérience d’une Amérique moderne gavée de télé-réalité, de fast-food et de peine de mort expéditive. Cette Comédie du 21ème Siècle en Présence de la Mort, comme est sous-titré cet étonnant premier roman, déborde de vitalité, d’humour, d’impertinence, assume sans complexe les circonstances merdiques des crises de l’adolescence, et creuse les thèmes de la manipulation, de la déception, de la perte de l’innocence. En l’état, déjà félicité par plusieurs prix dont le Man Booker Prize 2003, DBC Pierre (né en Australie, élevé entre le Texas et Mexico City, installé en Irlande) pourrait bien avoir écrit un nouveau roman initiatique culte, comme le firent Jack Kerouac ou Irvin Welsh.

Stig Legrand - Juillet 2005

VO
DBC Pierre, « Vernon God Little », Faber, mai 2004, 277 pages; 12,31 Euros - ISBN : 0571215165

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