"Allez, suicide-toi
Louis, t'as pas d'autre choix !"
En zoom figé sur la couverture glacée,
l'écrivain présente son livre à la façon Ardisson, le pur objet en équilibre
entre les doigts, levé devant le visage. Ce n'est pas une coïncidence
: dans cette histoire, tout le monde se regarde en parler. D'ailleurs,
le célèbre animateur n'a pas résisté à la tentation de prolonger la
mise en abyme lorsqu'il a invité Louis Lanher, accompagné de son complice
Nicolas Rey, pour clôturer la saison 2004 de son émission.
Si tout le monde veut devenir une
star, postulat de base du roman, l'apogée médiatique est atteinte quand
le Capitaine Flam du PAF donne au jeune auteur sa bénédiction, par le
biais d'une interview tendrement perfide. Le contexte des influences
s'articule entre people, texte, plateau télé, et réalité.
Quelle réalité au fait ? Celle de
Virgil, Parisien de 26 ans, pur aboutissement de la sélection par l'argent.
Dans le loft qu'il partage avec Ben et Jean-Guy, la chaîne Paris Rive
Gauche sert tous les jours d'easy listening pour adoucir la dépression
du retour de boîte vers 7h du matin. Le challenge a lieu en début d'après-midi,
quand il s'agit de démontrer par quelque idée débilissime sa supériorité
sur l'écurie de créatifs payés par l'USS Media pour leur nouveau projet
télé.
Evidemment, Virgil n'a rien à prouver
au commun des mortels puisqu'il est né dans l'aristocratie des élus,
il lui suffit de cumuler assez d'heures pour toucher son argent de poche
en tant qu'intermittent du spectacle. Heureusement, il a les contacts
nécessaires, on ne le trouvera pas dans la file du casting de la prochaine
Star Academy. D'abord, il a mieux à faire dans la vie : par exemple,
abreuver de Bombay Saphire des Chloé, Clara ou Céline adolescentes pour
les ramener quelques heures dans le lit qu'il partage avec Ben entre
le Sacré-Cœur et Pigalle…
"Be yourself… Comme tout le monde…"
Dans l'oligarchie de castes selon
Louis Lanher, la population française se répartit en trois catégories
socio-professionnelles :
-
l'élite de la communication
et des médias qui n'a pas à gagner sa vie et dispose du temps et de
l'argent pour exprimer sa créativité artistique.
-
la classe des simples bourgeois-bosseurs
(bo-bos) s'épanouissant dans des métiers propres et gagnant bien sa
vie pour la dépenser sans imagination.
-
la masse laborieuse du tiers
état qui bosse toute sa vie en croyant dur comme fer que tous les
hommes naissent et demeurent égaux en droits.
"Heureusement que dans ce
pays quelques connards refusent encore de travailler à la télé pour la regarder."
Si on rapproche parfois Lanher de la
tendance Beigbeder, il n'est pas loin non plus du Bret Easton Ellis de Glamorama,
à la différence près que ses personnages n'ont pas encore dérapé dans la
violence ou dans la névrose. Son Virgil tourne, sans grand espoir mais sans
crise grave, dans sa cage dorée tant qu'il peut puiser shoupashoup et Xanax
à la carte platinum des parents.
Irrésistible de retrouver les icônes
branchées comme Thierry Hard, Ariel Fishman, Edouardo di Bellart, Cathy
Tetta, et autre Jenny de Loft 6, exposées sur 23 chapitres de pur clichés
pertinents. Vu à travers les bulles d'un CristalRoederer-Cocaïne, le microcosme
du hype parisien prend des dimensions d'univers auto centré, petit chaos
maîtrisé, en équilibre instable sur le fil du dérisoire.
Pourquoi demander plus de rêve ou de
révolte quand les créas sont là pour vous les marketer ? Cut.
Stig Legrand - Juillet 2004
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Louis Lanher, " Un pur roman ",
Au Diable Vauvert,
mai 2004, 238 pages; 19 Euros - ISBN : 2-84626-063-X
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