Et au pays
des mariages arrangés, Riffat a toujours soutenu à sa fille qu'on doit
se marier par amour et non pour contenter les aînés. Quoi qu'il en soit,
Dia est bien loin de rêver à l'amour, c'est plutôt le meurtre de son
père et la crise affective navrante que traverse sa meilleure amie qui
lui perturbe la tête.
Quand l'appel du muezzin s'éteint..."Le crépuscule
fourmille d'activité. Des chats traversent les sentiers en feulant;
les yeux d'un caméléon luisent comme un diamant noir; une voiture klaxonne
devant une grille. Puis l'obscurité tombe, la voiture rentre en grondant
dans son antre et tout s'immobilise un instant."
Daanish étudie depuis trois ans
aux Etats-Unis pour être journaliste. Pendant la guerre du Golfe, il
a perdu quelques illusions en constatant le mutisme qui s'emparait de
ses professeurs pour commenter ce conflit. Il réalise qu'au Pakistan,
un journaliste risque de se faire briser le cou, aux Etats-Unis, briser
l'esprit. Son père, médecin qui regrettait l'orientation des études
de son fils, vient de décéder, rappelant du même coup Daanish à Karachi.
Le retour est difficile : le décalage entre ce qu'il est devenu et ce
qu'on attend de lui est insupportable ; la douleur de l'absence de son
père lui tord les tripes ; les retrouvailles douces-amères avec Anu,
sa mère, complexe, pieuse et névrotique qui insiste pour le marier...
Inch Allah…
"Ici nous avons beaucoup de restrictions mais peu de règles, là-bas
c'est le contraire. Il y a peu de restrictions mais beaucoup de règles."
De la mort à la naissance
C'est la mort de leurs parents qui
rapproche Daanish et Dia, mais le deuil est parfois entouré de jeunes
filles malicieuses en soieries délicates et d'éclats de rire. Pourquoi
s'aimer dans cette ville terrible où les filles se déplacent d'un quartier
à l'autre sous escorte armée ? Quel étrange rapport à la féminité est
celui d'une société sous la sharia où les filles sont soit des proies
soit la propriété d'un parent mâle ?
Daanish cherche sa sale vérité dans
la profession de journaliste, mais sa vie personnelle est plus nuancée
de contradictions. Dia est le produit d'un pays où la conscience de
soi est un réflexe de survie. Où l'on juge de la valeur d'une femme
à sa réputation et c'est ce qu'elle ose transgresser.
C'est aussi l'histoire misérable
de Salaamat, qui passe de l'atelier de peinture où il rêve de décorer
les flancs de ces fantastiques bus bariolés, qui sillonnent toutes couleurs
dehors les rues de nombre de villes asiatiques, à un camp en pleine
cambrousse, avec des combattants de la liberté qui pillent et torturent
les malchanceux sous l'alibi de la juste bataille pour un Sindh libre.
Dans un pays pareil, ils ne peuvent jamais vraiment oublier où ils sont.
Ils vivent dans un pays qui est une foutue pissotière : qui n'a pas
pissé dedans ?
"Ce que nous sommes et ce que nous devenons
dépend entièrement de la géographie."
Uzma Aslam Khan excelle à écrire
la cohue bigarrée des famille pakistanaises, à tisser des histoires
d'une finesse et d'une solidité qui rivalisent avec la soie des vers
de Dia, à insuffler vie à des personnages profonds et complexes qui
collectionnent des coquillages et guettent l'accouplement des imagos.
Sa plume se fait napalm quand elle écrit la torture et la sauvagerie
des bourreaux, la violence sans limite qui fait désespérer de l'homme.
C'est le roman du Pakistan
comme l'annonce la quatrième de couverture.
Stig Legrand 2004