Tout le monde est occupé


Rien de tel pour apaiser l'esprit stressé que la lecture d'un livre de Christian Bobin.

Dans celui-ci, des personnages aux pieds nus dansent sur les aléas de la vie, le cœur en voltige au-dessus des nuages.

Non, il ne s'agit quand même pas du pays arc-en-ciel où s'ébattent les Bisounours, cette histoire aux miracles simples raconte le quotidien banal d'Ariane, de ses enfants, de ses amours, dans une région paisible de la Terre.

"Ariane porte une robe bleue ciel. Quand elle danse, on dirait que le ciel se creuse. Dessous le bleu du ciel, il y a le plus doux corps du monde, et dans ce corps, un cœur battant mieux qu'un tambour."

Cette jeune femme radieuse enchante tout ce qu'elle touche : ses employeurs dans la vie desquels elle fait le ménage avec un sourire contagieux, ses amoureux successifs qui méritent tous sa passion, ses enfants nés de rêves et de pères envolés… Elle fait rire, même quand elle dit la vérité qui n'est pas toujours drôle. En toute confiance, Ariane se laisse raconter, lignes simples et poésie discrète scintillant sur le papier.

Une occupation à plein temps

Trois enfants exceptionnels naissent de cette héroïne douée pour le bonheur : Manège la première aux grand yeux ouverts, Tambour le cadet qui ne lui ressemble pas, et la petite dernière dont le prénom rime avec Trompette. Innocents, espiègles, conçus par les yeux et par le cœur, comme c'est rafraîchissant pour le karma du lecteur de se plonger dans la limpidité de leurs toutes jeunes impressions sur le monde…

"Les anges, qui sont de purs esprits ont moins de chance que nous."

C'est l'image d'une famille élastique, baignée de soleil, avec un jardin où le chat Rembrandt et Van Gogh le canari se disputent à propos de philosophie. Ca se passe quelque part dans une province onirique, et là-bas, il y a de l'espoir chaque jour pour ces enfants aux prénoms inventés. En réponse aux prières de toutes les mères du monde, Dieu rayonne sur eux sous les traits d'un soleil bienveillant.

Autour de ce noyau chaleureux, les gens s'occupent quand même aux passions et manies humaines, se trompent, se blessent, guérissent. M. Gomez, Mme Carl, M. Lucien, Melle Rosée, Mr Armand, et le lecteur développent leur capacité de tolérance, apprennent à devenir eux-mêmes.

Les paradis artificiels de Christian Bobin

Même si sa Vierge Marie, Mère de Dieu, est trop libérée pour dépendre d'aucun dogme, fée adolescente portant une robe en plâtre bleu écaillé, les références chrétiennes omniprésentes dans ce livre peuvent, chez certains libres penseurs, affaiblir l'impact de sérénité universelle qui émane du texte.

Lorsque des anges, des saintes, des femmes, des miraculés et des gosses plein de vie évoluent en toute simplicité dans "quelque chose de clair et de blanc : du lait et de la lumière", certains ne peuvent s'empêcher de mettre en vitesse leurs verres teintés. Il n'y a aucune place pour la noirceur dans ce livre, ça peut sembler artificiel. Trop beau pour être vrai ?

Heureusement, l'auteur n'est pas moralisateur, c'est plutôt un libertaire subtil qui brouille les frontières entre la terre et le ciel pour y faire s'envoler ses lecteurs. Indissociable de la lumière, des battements de cœur, de la poésie, l'éternité s'assoit sur la page de Bobin et vous y attend pour y célébrer des mariages et des bénédictions. .


Stig Legrand - Août 2004

Christian Bobin, " Tout le monde est occupé ",
Gallimard (juin 2001) -
Folio Poche, 114 pages; 3 Euros - ISBN : 2070419258

 Voir l'article sur LeLitteraire.com