La Mécanique des Ecureuils
C'est signé Yann Moix. D'après lui,
il écrit plutôt des inepties, en général assis à la terrasse des cafés
en matant les demoiselles de tout crin, ce qui au moins lui évite de
devoir fréquenter la faune des bureaux. Sous le soleil d'une fin d'après-midi
d'été, il observe le zoo urbain et le raconte avec des mots sarcastiques
chauffés par une libido énervée qui s'imagine en sexualité-ultra-méga-débridée.
Brunes, blondes, chatains ou rousses, les femelles sont les héroïnes
du spectacle, parfois accompagnées de pauvres types qui ne méritent
ni l'énergie dépensée pour tirer leur lamentable portrait, ni la déprime
ressentie face aux goûts de chiottes affichés par ces belettes.
Donc, Yann Moix écrit seul à une
table de café. Mais en fait, ils sont deux sur le carnet, dont une chatte
rousse, et ils s'agitent à même le crépuscule du plancher, une langue
de plume pour chatouiller la rousseur de zones inaccessibles et faire
jaillir des tâches de dessin animé quand la queue s'entête. Ca assure
niveau résultats. "N'ayez pas peur, mes rousses, je saurai vous respecter
le cul." écrit-il et on comprend pourquoi il embrase les jeunes
lectrices en fleur… Entre le vivre et l'écrire, il est cependant clair
que sur ce coup-là, le choix s'est fait sans lui, et que seuls quelques
fauves souvenirs de tétons bucoliques ont suffit à coucher le flot de
fantasmes sur le papier. Dans les bars, les rousses boivent leur café
et prennent la porte vers d'autres aventures, puis deviennent des salopes
dans la tête de masturbateurs ou d'écrivains obsédés.
Programmées pour se faire mettre
Entre Tic et Tac, Yann Moix prend
la position de l'hétéro lucide tendance ethnologue. Sa lecture désabusée
d'une société, peuplée de salariés nains à chibres d'ogres, toute
entière motivée par ses quelques instants de jouissance en fin de soirée,
bien chers payés en humiliations ritualisées au bureau tout le reste
de la journée, est criante de vérité, mais surtout, elle le fatigue.
"Je ne supporte plus l'avant (ni l'après non plus, d'ailleurs, mais
j'y reviendrai). Je ne supporte plus les prises de rendez-vous, les
coups de fil, les arrivées grandiloquentes dans les endroits branchés,
les réservations pénibles, les conversations kantiennes, les concours
de grimaces intelligentes, les petits moments de poésie pure, les promenades
sous la lune, l'euphorie calculée des alcools, l'intelligence distillée
toute la soirée. Je ne supporte plus d'essayer de faire mouche avec
les mêmes histoires aux mêmes endroits, je ne supporte plus mes histoires,
sans cesse identiques quelle que soit la chatte en face à brouter, et
j'aimerais vraiment que toutes ces minutes d'hypocrisie humaine se réduisent
en efficacité animale."
En conséquence, ça débande grave
sur la fin, et tout le monde perd son sourire. Les dernières pages se
durcissent, les mots basculent (la nuance entre "salope" et "connasse"
si vous voyez ce que je veux dire). Faute d'imaginer une alternative
à cette comédie des hormones qui dépossède bel et bien l'espèce humaine
de ses prétentions à un idéal, il me semble que Yann Moix perd son humour
en même temps que le romantisme et s'abîme dans l'amer. Ce qui n'enlève
rien à son talent et ne m'empêchera pas d'attendre son prochain papier
avec impatience.
Jeunes filles, demandez donc une
addition séparée si vous partagez sa table, ou alors mieux, invitez
Yann Moix en amoureux, il n'en reviendra pas.
Stig Legrand Mai 2003
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