Lolita, go home!

Elisa, Elisa, Elisa saute-moi au cou
Elisa, Elisa, Elisa cherche-moi des poux,
Fais-moi quelques anglaises,
et la raie au milieu
On a treize, quatorze ans à nous deux…

Mais ce n’est pas ce refrain qui tourne dans la tête d’Elisabeth, tandis qu’elle traîne ses valises outre-Manche, destination la prestigieuse Université de Cambridge.

Charmante chipie à l’intellect aussi développé que son sens de l’humour, la jeune étudiante songe plutôt à Nabokov, qui fréquenta la même alma mater de l’élite cosmopolite raffinée. De Nabokov à Lolita, entre la peau et le papier, il n’y a qu’un pas! «Je serai la Lolita des bibliothèques.» chantonne-t-elle sur la mélodie de Gainsbourg en descendant du car qui transporte sobrement ses camarades de promotion.

Fascinée par l’énigmatique auteur, Elisabeth délaisse immédiatement les glaciales ambitions autocratiques des futurs diplomates internationaux pour se plonger dans une quête littéraire obscure mais captivante : résoudre le mystère de l’inscription sibylline qu’aurait laissé Nabokov quelque part sur un mur de la ville. Cette légende a mobilisé des thésards pendant plusieurs décennies, étranges étudiants de trente-cinq ans qui enquêtent toujours à la recherche d’une conclusion à leur doctorat.
Qu’à cela ne tienne! «J’aime l’anti-productivité de mes minuscules recherches, leur insignifiance.» dit-elle. «La littérature, fût-elle toute-puissante sur le cerveau, ne saurait rivaliser avec les joies simples de l’inspecteur Clouseau.» confirme notre apprentie Panthère Rose.

Glissant avec grâce de manuscrits perdus en connivences cartographiques, l’intrigue se noue tout en finesse. D’inquiétantes rencontres tissent une trame palpitante qui relie Cambridge à Londres, puis Venise, à la poursuite du spectre de Nabokov. Surprises, rebondissements, et «doux vertige littéraire» brouillent finalement la limite entre le monde et les livres.

Vif et enlevé le premier roman d’Elisabeth Butterfly gambade délicieusement dans les rues de papier de la Vieille Angleterre avec une érudition tempérée de candeur, mené par une Lolita aussi fraîche que retorse. Délicatement poétique, servi par un vocabulaire où les perles d’Honolulu côtoient les queues de tigre du Bengale, «Lolita, go home !» insuffle à chaque lettre une charge érotique. Cette citation qui hante l’héroïne «Des mots banals, nos rêves et nos soucis insignifiants, deviennent magiques lorsque l’art, ce magicien lunatique, met du rouge sur les lèvres de la vie.» reflète avec subtilité la connivence que partage cette jeune auteur pleine de promesse et son maître à penser, Nabokov.

Imaginaire et réel se mélangent avec bonheur sous la plume d’Elisabeth Butterfly car il est évident qu’elle sait de quoi elle parle. Diplômée de sciences po et titulaire d’un Master de l’Université de Cambridge, elle ajoute aujourd’hui une nouvelle corde à sa harpe car elle a déjà prouvé son talent en produisant Lazy Lounge sur Canalweb, «une émission tellement paresseuse que même son slogan l’est». La collection «Easy Reading» de Florent Massot s’enrichit tout à coup d’une voix douce et impérative dont le livre vous dit : «Lisez-moi !».

Stig Legrand 2002

Elisabeth Butterfly, «Lolita, go home !», Editions Florent Massot, 2002, 117 p.

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