Le tube

Une fiche de lecture du conte Le Tube, ouvrage anonyme et encore à paraître.

Peut-être est-ce la faute de nos contrôleurs aériens, mais les super héros ne se bousculent pas dans le ciel de France. Aucun génie en costume moulant à l’horizon pour venger le paysan racketté par Monsanto, nul titan moderne pour protéger notre littoral quand surviennent les marées noires, point de sauveur anti-nucléaire pour nous éviter un prochain Tchernobyl… Non, ce ne sont pas des personnages de BD qui prennent la défense de la nature dans l’hexagone, ici la clandestinité est de rigueur : la menace est bien réelle, les protagonistes préfèrent garder l’anonymat. Les témoignages ne sont donc pas légion, raison de plus de se plonger avec intérêt dans ces pages, qui malgré maintes péripéties tiennent plus du manifeste écologique et de la justification personnelle que du roman.
Les pieds nickelés du nucléaire

Les mésaventures commencent à l’été 76 dans la région Rhône-Alpes. Des milliers de militants anti-nucléaire occupent le terrain en protestation contre le futur surgénérateur : Superphénix. D’un côté les CRS et de l’autre des activistes débutants, prêt à embrasser une cause pourvu qu’elle leur semble juste et noble. Autour des feux de camp, c’est l’époque des rencontres : Antonio l’initiateur, Chloé la muse, Max le bricoleur, Pedro le physicien, et notre narrateur partagent une semaine intense, nourrie de rébellion et de riz macrobio. Idéalistes et non-violents, ils tissent des liens qui survivront aux tensions, à la peur, aux réussites incertaines et aux échecs du combat environnementaliste. «Le but du bouquin est d’essayer de me convaincre, de vous convaincre, que ce jeu avait un sens.» déclare l’auteur. Sincère, il bat le rappel de ses souvenirs, analyse ses motivations d’alors et démonte les ressorts de ce groupuscule d’écoterroristes amateurs lancés contre le rouleau compresseur technocratique.

Pour se la péter grave

Comment reste-t-on fidèle à ses convictions quand les revendications ne suffisent plus ? Il faut rappeler que les soulèvements anti-Superphénix de 77 deviennent violents et qu’un manifestant y trouve la mort. «Toute ma vie, j’ai rêvé de donner une réponse plus concrète, plus réelle, aux questions sur l’action et la liberté que Sartre se posait.» confie l’auteur. C’est pour répondre à cette situation bloquée qu’ils inventent «le biz», leur version personnelle de l’écoterrorisme. Les premiers actes de résistance s’articulent autour de chantiers et de lignes «très haute tension» : bricolages nocturnes pour couper l’alimentation électrique des engins, opérations de dynamitage aussi terrifiantes que burlesques… A l’époque où toute une génération ne pense qu’à s’éclater, ces babas-là se shootent à l’adrénaline et à l’idéal, deux substances explosives à fort potentiel d’accoutumance.

Radioactivity is in the air for you and me

Pour peu que vos connaissances en matière d’énergie atomique soient rudimentaires, il est temps de réviser les bases. Cet exposé de rattrapage ne fera certainement pas unanimité chez les partisans du nucléaire mais ne manquera pas de vous hérisser d’effroi. On y apprend que la France détient le record mondial de construction de centrales compte tenu de sa population. Suivent des spéculations sur les matériaux fissiles légués à la descendance, l’uranium appauvri et le syndrome de la guerre du Golfe, une visite théorique des cuves de retraitement de la Hague (le message du site de la Cogema «Nous n’avons rien à vous cacher» n’arrive pas à vraiment rassurer !), des avertissements sur les risques réellement encourus, et l’auteur conclut sur cette observation frappée au coin du bon sens : «Le nucléaire c’est dangereux parce que la sécurité absolue n’est pas de ce monde.» Malgré quelques notes d’espoir représentées par les énergies alternatives (solaire, éolien, géothermie profonde), on sort de ces pages en cherchant son compteur Geiger, mûr pour suivre les protagonistes dans la radicalisation de leur projet.

Métaphysique du tube

L’idée du bazooka émerge vers la fin de l’été 77. Dans l’esprit des militants, David s’oppose à Goliath ; Superphénix se diabolise comme le montre l’amalgame superstitieux qui joue sur les mots : Malville devient la ville du mal, le plutonium émane directement du dieu des enfers. Que peuvent ces rêveurs contre la volonté d’un gouvernement ? Comment ce mouvement de desperados, «Des écolos maigres et pauvres, des chômeurs qui élaboraient des plans dérisoires dans un garage minable et qui s’imaginaient pouvoir arrêter la centrale la plus puissante du monde.» vont-ils s’y prendre pour concrétiser ? Il faudra cinq ans à échafauder des scénarios impossibles, une quête romantique du canon en guise de Graal qui leur fera croiser la trajectoire de réseaux terroristes moins scrupuleux en ce qui concerne le respect de la vie humaine : RAF allemande, Action Directe, Brigate Rosse italiennes… Embarqué dans cette réaction en chaîne, l’auteur s’interroge «Mais bon dieu, qu’est-ce que je fous ici, je suis COMPLETEMENT fou ou quoi?» L’intensité dramatique va alors crescendo pour atteindre l’apothéose en 82 avec la mise en œuvre de l’attentat au lance-roquette contre l’enceinte du surgénérateur. Là, il n’y a plus place pour le doute.

Pertinence de la publication

Le Tube n’a pas le cynisme savoureux d’un T. Coraghessan Boyle avec «Un ami de la terre», ni les personnages attachants d’un «Zodiac» de Neal Stephenson, ou l’humour corrosif du «Sick Puppy» de Carl Hiaasen. Au delà des maladresses de style, au delà du trait un peu lourd qui bascule parfois dans la caricature, l’éditeur peut hésiter face à ce texte.

Brûlot pamphlétaire ou illustration unique de l’enfance d’une faction qui a depuis évolué jusqu’à devenir le puissant mouvement écolo ? Même l’auteur recherche encore le sens de son action : il doute, il oscille entre le besoin de dire et la peur d’être reconnu… Peut-être trouvera-t-on la réponse en examinant le contexte actuel, quand le président des Etats-Unis refuse toute implication dans la sauvegarde de l’environnement, quand les militants antimondialisation sont emprisonnés, alors que la France persiste dans son orientation nucléaire, quel message veut-on faire passer? Celui qui se dégage du Tube est qu’il ne faut pas se résigner, qu’il est toujours juste de se révolter et que la critique est encore nécessaire : «Pas la peine d’être un Rambo invincible pour aller court-circuiter une ligne THT. Il suffit d’être un peu fou.»

Stig Legrand 2002

Le tube, Anonyme, 2002

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