Le principe du tire-bouchon


Incompréhensible, mortellement ennuyeux…
L’univers des sciences théoriques rebute souvent les cancres que nous avons pu être, refroidis par le souvenir des sueurs froides face aux feuilles blanches d’examens écoliers. Rares sont encore les élèves qui s’ouvrent spontanément à la beauté des mathématiques, ou aux mystères de la physique. S’agirait-il d’un décalage de langage ? Symboles et formules représentant une torture mentale raffinée, que l’on évacue avec soulagement une fois franchies les portes de l’éducation nationale.

Pourtant, ces principes, que l’on croit compliqués, sont capables d’enrichir notre vision du monde si on parvient à les déchiffrer. Une compréhension basique des théories qui sous-tendent les phénomènes universels ne peut faire de mal à personne dans cette époque où s’affrontent technologie et obscurantisme. Destiné aux béotiens curieux d’en savoir plus sur la manière dont les génies de la physique ont inventé les règles du monde, ce roman alterne intrigue quasi-policière, investigation historique et vulgarisation scientifique.

Le roman fait intervenir des personnages simples, dessinés à grands traits. Irène a épousé Bernard, «jean noir, chemise blanche, belle gueule carrée de savant à la splendide crinière argentée et au sourire carnassier, élu scientifique le plus sexy du monde par un magazine féminin». Sur le plan intellectuel, le couple ne partage pas grand chose, car Bernard ne rate pas une occasion de dénigrer son épouse, plus portée sur la lecture des horoscopes. Le ménage finit de basculer un soir, lorsque devant un fond de salade, une quiche micro-ondée et un bordeaux, Bernard achève d’humilier Irène à propos d’Einstein, en présence d’un invité surprise, Léo, journaliste scientifique.

Lassée de ses humeurs massacrantes, de ses «Crises de Physique Aiguë», Irène se réfugie chez son amie Marie, qui partage sa vie avec l’Ours, un mathématicien de génie, lauréat de la Médaille Fields. Lorsqu’elle rentre chez elle, Bernard a disparu, laissant un mystérieux billet sur la table du salon, dans lequel il est question d’une imminente et fabuleuse découverte, d’une certaine Expérience Cruciale, d’être le dernier Nobel. Le cadre est posé : Irène s’engage illico dans une enquête qui se veut pragmatique mais qui l’entraînera forcément sur le territoire de son malotru de mari, la physique et ses paradoxes.

Perdue dans les rayons de la médiathèque, Irène a beau «mobiliser ses neurones, battre le rappel des rares souvenirs du lycée ou des discours de Bernard, elle perd le fil du raisonnement, décroche, doit tout reprendre à zéro», face aux ouvrages traitant d’Einstein. Intervient alors l’étrange Léo, qui tombé du ciel de la Cité des Sciences se met à son service pour lui prodiguer, de rendez-vous en rendez-vous, de sacrées leçons de rattrapage sur les arcanes de la physique.

Ca débouche sur quoi ?

Le roman prend enfin tout son sens car les chapitres se concentrent dès lors sur l’évolution de la pensée humaine, alternant chronologie des découvertes et habiles démonstrations des théories et principes de la physique. De «L’âme du monde» chère à Platon, d’Aristote à Galilée en passant par Copernic et Tycho Brahé, de Kepler à Newton, jusqu’à Einstein et bien d’autres génies des sciences, les Grands Zinzins comme les surnomme Léo, ont tous jetés bas les modèles du monde en vigueur à leur époque pour imposer leur vision révolutionnaire de nouveaux systèmes. Ils furent régulièrement accusés d’hérésie car religion et science se disputaient âprement les clés de l’univers…

La lecture de ces portraits plein d’exaltation est enthousiasmante, on ne peut que se laisser prendre au jeu de piste. A travers son personnage de Léo, Leila Haddad, journaliste scientifique à Ciel et Espace, initie le lecteur de façon ludique aux principes les moins évidents, qu’il s’agisse d’astronomie, de gravitation universelle, des causes et des effets, de théorie du mouvement, de la relativité avec un grand R ou de l’univers des quanta. Il suffit de savoir observer les phénomènes depuis un autre angle, et c’est la grande réussite de ce texte : il donne envie d’ouvrir plus grand les yeux. Et comme l’Irène du livre, plus vous en découvrirez sur les principes dits rationnels, plus vous trouverez l’univers surprenant.

Stig Legrand avril 2005

Leila Haddad, « Le principe du tire-bouchon »,
La Table Ronde, 2005, 433 pages; 21,50 Euros - ISBN : 2-7103-2735-X

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