Le roman fait intervenir
des personnages simples, dessinés à grands traits. Irène
a épousé Bernard, «jean noir, chemise blanche,
belle gueule carrée de savant à la splendide crinière
argentée et au sourire carnassier, élu scientifique le
plus sexy du monde par un magazine féminin». Sur le
plan intellectuel, le couple ne partage pas grand chose, car Bernard
ne rate pas une occasion de dénigrer son épouse, plus
portée sur la lecture des horoscopes. Le ménage finit
de basculer un soir, lorsque devant un fond de salade, une quiche micro-ondée
et un bordeaux, Bernard achève d’humilier Irène
à propos d’Einstein, en présence d’un invité
surprise, Léo, journaliste scientifique.
Lassée de ses humeurs massacrantes,
de ses «Crises de Physique Aiguë», Irène se
réfugie chez son amie Marie, qui partage sa vie avec l’Ours,
un mathématicien de génie, lauréat de la Médaille
Fields. Lorsqu’elle rentre chez elle, Bernard a disparu, laissant
un mystérieux billet sur la table du salon, dans lequel il est
question d’une imminente et fabuleuse découverte, d’une
certaine Expérience Cruciale, d’être le dernier Nobel.
Le cadre est posé : Irène s’engage illico dans une
enquête qui se veut pragmatique mais qui l’entraînera
forcément sur le territoire de son malotru de mari, la physique
et ses paradoxes.
Perdue dans les rayons de la médiathèque,
Irène a beau «mobiliser ses neurones, battre le rappel
des rares souvenirs du lycée ou des discours de Bernard, elle
perd le fil du raisonnement, décroche, doit tout reprendre à
zéro», face aux ouvrages traitant d’Einstein.
Intervient alors l’étrange Léo, qui tombé
du ciel de la Cité des Sciences se met à son service pour
lui prodiguer, de rendez-vous en rendez-vous, de sacrées leçons
de rattrapage sur les arcanes de la physique.
Ca débouche sur quoi ?
Le roman prend enfin tout son sens
car les chapitres se concentrent dès lors sur l’évolution
de la pensée humaine, alternant chronologie des découvertes
et habiles démonstrations des théories et principes de
la physique. De «L’âme du monde» chère
à Platon, d’Aristote à Galilée en passant
par Copernic et Tycho Brahé, de Kepler à Newton, jusqu’à
Einstein et bien d’autres génies des sciences, les Grands
Zinzins comme les surnomme Léo, ont tous jetés bas les
modèles du monde en vigueur à leur époque pour
imposer leur vision révolutionnaire de nouveaux systèmes.
Ils furent régulièrement accusés d’hérésie
car religion et science se disputaient âprement les clés
de l’univers…
La lecture de ces portraits plein
d’exaltation est enthousiasmante, on ne peut que se laisser prendre
au jeu de piste. A travers son personnage de Léo, Leila Haddad,
journaliste scientifique à Ciel et Espace, initie le lecteur
de façon ludique aux principes les moins évidents, qu’il
s’agisse d’astronomie, de gravitation universelle, des causes
et des effets, de théorie du mouvement, de la relativité
avec un grand R ou de l’univers des quanta. Il suffit de savoir
observer les phénomènes depuis un autre angle, et c’est
la grande réussite de ce texte : il donne envie d’ouvrir
plus grand les yeux. Et comme l’Irène du livre, plus vous
en découvrirez sur les principes dits rationnels, plus vous trouverez
l’univers surprenant.
Stig Legrand avril 2005