L'histoire
commence un matin de canicule ordinaire, sur une réserve de l'Arizona.
Edgar, sept ans, gambade pas loin du taudis qu'il partage avec sa mère
alcoolique et sa grand-mère acariâtre, à côté de l'arbre mort où pendent
des centaines de canettes de bière. Personne ne connaît les circonstances
exactes de l'accident, mais le fait est que la roue arrière de la Jeep
du facteur lui écrase la tête contre le gravier brûlant. La boîte crânienne
en morceaux, du liquide cérébro-spinal lui coulant des oreilles, le petit
métis décède dans l'ambulance qui l'emporte sans trop se presser vers
un destin des plus étranges.
"Tu sais que t'es un gosse drôlement verni
?"
Ramené d'entre les morts par le Dr
Barry Pinkley qui le ranime d'une douzaine de violents coups de poing
assénés contre le frêle thorax, Edgar demeure dans un coma de trois mois
dont il se réveille un beau matin, sous les yeux effarés du personnel
de l'hôpital, sans trop de dommages au cerveau. A Sainte-Divine, Edgar
est considéré comme un saint, une merveille, un miracle… Amnésique, le
jeune Apache n'a conservé aucun souvenir de sa mort, si de sa vie d'avant.
Malgré la décrépitude de l'hôpital, l'hystérie du corps médical et l'humeur
massacrante de ses compagnons de chambre, Edgar coule des jours heureux
de convalescence à Sainte-Divine, ses progrès et sa gaieté illuminent
la cour des miracles qu'est le centre de rééducation digne de Vol au-dessus
d'un nid de coucous.
"Au mur du fond était accrochée une immense
banderole toute froissée, confectionnée en papier d'emballage de boucherie,
sur laquelle on lisait, écrit à la peinture rouge en lettres dégoulinantes
: JE VEUX JE PEUX JE FAIS.On distinguait encore les taches jaunes à l'endroit
où un malade, après s'être dressé dans son fauteuil roulant et avoir arraché
la banderole dans une crise de rage, avait pissé dessus."
S'il a récupéré la plupart de ses
facultés mentales, Edgar constate qu'il lui est impossible d'écrire ne
serait-ce que son nom à la main. Le vieil Art Crozier, dont la figure
avait l'air d'avoir été rafistolée avec du fil de fer et du chewing-gum,
lui offre alors une vieille Hermès Jubilé 2000, une sacrée machine à écrire
plus solide qu'un panzer. Elle ne le quittera plus, et l'étrange enfant
noircira toute sa vie des pages et des pages autobiographiques qui sont
autant d'exorcismes, de suppliques, d'inspiration.
Coiffé de son vieux casque de cuir
protecteur, bardé de sangles et de boucles, enfoncé jusqu'aux yeux, Edgar
est finalement envoyé en pension dans un établissement scolaire où il
rencontrera la solitude, l'humiliation, la terreur, mais aussi l'amitié.
Et nous n'en sommes pas encore à la moitié de son aventure que je préfère
vous laisser découvrir, il lui reste pas mal de chemin à parcourir, de
spécimens humains peu fréquentables à dépasser, s'il espère un jour trouver
un foyer…
Comparé à un Dickens des années 2000,
au meilleur de John Irving ou de Ken Kesey, le roman de Brady Udall illustre
à coup de phrases percutantes d'humour et de cruauté, l'extraordinaire
résilience d'un enfant fracturé face à la réalité du monde. La tête pleine
de fantômes, le bloc rose de son précieux gri-gri désodorisant enfoui
dans une poche, Edgar Mint passe de mains en mains et transforme tous
ceux qui l'approchent. Un livre généreux que vous n'oublierez pas, une
histoire qui file comme une ambulance déglinguée sous un ciel d'azur où
tournent des vautours.
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d'Edgar Mint
Stig Legrand - Décembre 2004
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