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Hey, Nostradamus
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Deux
mois après le 11 septembre 2001, Douglas Coupland a entamé l'écriture
de ce roman où il aborde des thèmes inattendus sous sa plume coutumière
de l'ironie acide. On peut les synthétiser ainsi : pourquoi arrivent-ils
des trucs moches à des gens biens ?
Ce ne sont pas les ruines des
tours jumelles qu'il creuse pour retrouver ses héros, mais les gravats
d'une cafétéria criblée de balles, le jour où le lycée Delbrook
se l'est jouée Columbine…
Comment s'exprime le deuil d'une communauté ? Chez Coupland,
la réponse est forcément dérangeante, pourtant cette fois-ci, elle
est surtout émouvante.
Quatre destins massacrés témoignent des vicissitudes inhérentes
à la fréquentation d'êtres humains plongés dans le chagrin. Toutefois,
comme c'est écrit par Douglas Coupland, le ton reste suffisamment
acerbe pour arracher un sourire au lecteur avant que sa première
larme s'écrase sur la page.
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Jolie vue. Jolie vie. Mort
merdique.
Nous sommes en 1988 après Jésus-Christ,
dans un établissement de 1,106 élèves sur les pentes verdoyantes du rivage
nord de Vancouver. Cheryl Anway a 17 ans, elle est en retard pour son
cours de math. Ravissante et épanouie, Cheryl fréquente les jeunes de
Youth Alive! (mouvement de pucelles qui pratiquent la prière en cercle,
partagent des salades géantes et chantent Kumbaya) et invente des péchés
à confesser à ses copines. Mais elle a aussi une vie secrète et vient
de se découvrir enceinte. Sur son classeur, elle calligraphie son mantra,
ligne après ligne, "God is nowhere God is now here God is nowhere God
is now here God is nowhere…"
Trois gamins en tenue de chasse investissent
la cafétéria. Comme dans un exercice anti-atomique des années 60, les
futures victimes plongent sous les tables. Les coups de feu, le massacre
raconté de l'intérieur du piège rend justice à la réalité. Sainte Cheryl
mourra dès la page 9.
"Under the tables we all dove - thumpa-thumpa-thump.
Don't shoot at me - I'm not making any noise ! Look ! Look at How ! Quiet
! I'm ! Being ! Shoot someone else over there ! Shoot me ? No ! Way !
I could have stood up, shouted and caused a diversion and saved a hundred
people, or organized the lifting of our table to create a shield to ram
into the gunmen. But I sat there like a meek little sheep and it's the
only thing I've ever done that disgusts me. Silence was my sin. I sinned
as I cowered and watched three pairs of ocher-colored work boots tromp
about the room, toying with us as though we were bacteria under a magnifying
lens."
Dead youth
1999, Jason n'a pas recollé les morceaux
depuis que sa vie s'est brisée sur le carrelage ensanglanté de Delbrook,
au moment où sa jeune épouse Cheryl a rendu l'âme entre ses bras. Aujourd'hui,
à 29 ans, il couvre le dos d'un bloc de factures de son écriture serrée,
assis dans un pick-up avec sa chienne, face au Pacifique. Qu'est-ce qu'on
ressent quand certains vous considèrent comme un héros et d'autres vous
traitent comme un paria ?
Comme Cheryl, Jason est figé dans
le temps et pourtant, dix ans ont passé. Ce n'est pas sa famille qui va
le soutenir : fils de Reg le tyran fondamentaliste, Jason est un loser
qui a raté son entrée au royaume de Dieu. 2002, voici Heather, seule femme
avec qui le contact semble possible, le futur envisageable… Si comme le
craint Douglas Coupland, Dieu existe mais n'en a pas grand chose à foutre
du genre humain, l'amour a-t-il encore un sens ?
Avec "Hey, Nostradamus !", Douglas
Coupland prend le risque de surprendre ses lecteurs en intégrant une dimension
spirituelle qu'on ne lui connaissait pas. Son exploration de sujets aussi
sensibles que la religion et ses abus, la tragédie violente ou l'aliénation
ne laissera personne indifférent. Hé oui, l'un des auteurs les plus cools
de la planète a pondu une œuvre humainement émouvante, si c'est pas de
la provocation ça !
http://www.heynostradamus.com/
Stig Legrand - Août 2004
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Douglas Coupland, " Hey Nostradamus
! ", Flamingo, 2003,
15,99£ - ISBN : 0-00-716250-2 version originale en anglais
Harper Perennial, 2004, 244 pages;
6,99£ - ISBN : 0-00-718258-9 version poche en anglais
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