Fleurs de métal

Métaphysique barbare

"Les mots ne sont jamais innocents, leur force est évocation, persuasion, tentation, et la vérité n´est rien que la connaissance de leur substance."

A trop vouloir éprouver la vie à bras-le-corps, à trop vouloir embrasser les extrêmes, à trop devoir arracher chaque instant au désespoir, certains se brûlent l´âme et deviennent légendes dignes de féconder l´inconscient du monde. Ainsi, Topper, rebelle de toujours, a enfin couché sur papier l´essence qui irrigue sa chienne de vie. C´est puissant, c´est sauvage, sordide pourtant élégant et ça fait mal quand ça s´arrête. "Ma langue arrache là où tu brilles." Ce n´est pas dans un jardin de roses qu´éclosent les fleurs de métal, mais au fond des volcans éteints, et dans leurs tiges lunaires, la sève est écarlate.

Avec ce premier ouvrage, les éditions (dans la peau) entrouvrent la parenthèse comme on ne peut s´empêcher d´agrandir une blessure béante. L´homme se combat lui-même, endosse les différents rôles : victime, tortionnaire, fouillant dans les immondices les yeux grands ouverts, explorant un registre sauvage sans la moindre crainte d´y laisser sa peau. Que reste-t-il après le désespoir, après l´alcool, après la came ? Que reste-t-il après l´amour ? Pas seulement le dégoût, même quand on se réveille cerné par les flics, la joue gluante dans une flaque de vomi. Brillant, le calice de la plante hybride poussée sur les décombres. Sur ses feuilles mercuriales, des mots serrés chuchotent l´indicible sur le thème du plaisir et de la douleur.

Metalucine, mais t´hallucines ?

Biohazard ! Black Flag ! Il est temps de perdre la tête si c´est encore possible. Volume à fond, vêtu de ses seuls tatouages, serrer les doigts sur la lame du couteau et d´un seul geste, tournoyer, faire gicler le sang, se cogner contre les murs, bander. Trancher dans les mots, sectionner l´histoire, poignarder la pudeur, éjaculer. Godflesh. Lécher la peau des filles tristes, dessiner avec un doigt dans le sang, rien à foutre… "Comment peux-tu me croire quand je dis que je suis heureux ?" Natural Born Topper redescend dans la rue, mentalement il fend la foule tandis que le doigt d´un sniper fictif tremble sur la gâchette, c´est le destin.

" Balise de rêve aux nuits incertaines
éloigne tes formes tentantes le diable
se fait tirer par l´objet de puissance : ma queue"

Il y a quelque chose d´Henry Rollins chez cet auteur, et je ne parle pas que de ses tatouages. Non, c´est vraiment une énergie, une lucidité sans pitié et un humour noir qui devrait Arriver près de chez vous. Ses poèmes trash seraient chez eux sur scène devant une marée humaine pogotante, hurlés à bout portant sur un beat hardcore... Juste des mots destroy qui traquent l´obscène, juste une bande de mecs psychotiques, juste un putain de miracle, juste un enfer ordinaire.

Monstre-toi !

Et l´inorganique n´en finit pas de pénétrer l´organique. Balle de Beretta, rituel Sundance au fer de lance, dents de la tronçonneuse qui mordent jusqu´à l´os, tranchant de la dague, crochets O-Kee-Pa arrachant les tabous. Dans le meilleur des cas, liturgies de l´extase pour des fakirs modernes, agonie stupéfaite plus généralement. Ce livre est-il un mode d´emploi pour reconstruire les cyborgs ? S´agit-il d´un manuel de survie, d´une invitation au suicide, d´une tentative thérapeutique de l´auteur face à une obsession morbide ? Mais tout cela et plus encore ! En préface, Milan Tomasz propose plusieurs pistes, à chacun de choisir son angle (du mien, je bénéficie d´une perspective à couper le souffle ;-)

" … it´s great when we´re together… "

D´où vient ce besoin viscéral, cette nécessité pour certains de s´acharner sur le corps, de ligoter, malaxer, forcer, extirper, modifier ? Peut-être parce que la chair s´avère le médium le plus disponible pour effleurer l´indicible, et demeure la dernière zone d´autonomie dont dispose l´homme civilisé. Ou parce que ce millénaire sera celui du KØR comme l´ont inventé Ann et Lukas Zpira dans leur manifeste : "Ne cherchant a reprendre possession de nos corps, que pour mieux maîtriser nos esprits…" Une fois "rassuré sur vos pulsions malsaines", libre à vous d´accepter que l´innocence puisse se lover dans le ventre du vice. Fétichistes lecteurs, philosophes de la zone, mutants cruels, esthètes psychopathes, body artists, quand vous aurez lu ce livre, ce sera votre tour de pénétrer l´univers mental de Topper comme prochains archétypes : soyez-y tendrement pervers. Maintenant que le métal est dans la chair, il finira par tous nous avoir dans la peau.

Stig Legrand 2002

Topper, Fleurs de métal, Editions (dans la peau) n°001, 2001, 125 p.
Disponible uniquement au "Regard Moderne", rue Gît le Coeur, Paris

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