Féroces infirmes,...


... retour des pays chauds

Flippez lecteurs! Sortez vos casques antichoc et accrochez-vous aux branches car l’ouragan Tom Robbins déferle enfin sur la France ! Ce diable d’homme n’a qu’un but depuis plus d’une trentaine d’années, en ses propres termes : «To blow your minds»… Et si l’humour et la joie de vivre étaient vraiment les armes les plus subversives ? Et si Tom Robbins était finalement bien «l’écrivain le plus dangereux du monde» ?

«Je reviendrai, avec des membres de fer, la peau sombre, l'oeil furieux : sur mon masque, on me jugera d'une race forte. J'aurai de l'or : je serai oisif et brutal. Les femmes soignent ces féroces infirmes retour des pays chauds. Je serai mêlé aux affaires politiques. Sauvé.»… Franchement ?! Quel autre auteur américain aurait osé puiser le titre de son récit dans Une saison en enfer ?


Auteur de sept romans au total, Tom Robbins a été qualifié de «père de la culture pop», ou d’ «Houdini de la métaphore». Des plages de la Californie au centre du désert Australien, des ghats de Bénarès aux rues tranquilles d’Helsinki, c’est vraiment un écrivain culte qui a enchanté l’esprit de millions de lecteurs par son approche ludique et désinhibée de la littérature.

Parlons intrigue ! Parlons personnages ! Féroces infirmes retour des pays chauds contient plus de rebondissements que le soutien-gorge de Monica Bellucci, et plusieurs dizaines de traductions du mot «vagin», soyez prévenus.

Fou de la gâchette cosmique

Cahotant entre trois dunes Moyen-Orientales sur son deux roues peu orthodoxe, voici Switters, agent secret au service du gouvernement des Etats Unis ou peut-être plutôt, agent anarchiste au service des Etats Chaotiques de la conscience. Parti quelques mois plus tôt en mission de sauvetage avicole dans la jungle amazonienne pour satisfaire le caprice de Maestra, sa formidable grand-mère, notre explorateur sifflote un air de Broadway.

Contradictoire jusqu’au bout des ongles Switters : pacifiste enfouraillé, végétarien friand de sauce au jambon Texane, bon vivant rabelaisien incapable d’accepter la réalité organique des choses, génie informatique détestant les ordinateurs, il séduit et exaspère dans la foulée tous ceux qu’il rencontre. Ses rêveries érotiques l’entraînent de la culotte innocente de sa demi-sœur impubère à l’austérité tentatrice des robes d’une nonne de dix ans son aînée, dont la tante avait servi de modèle nu à Matisse. Et c’est son amour de l’une comme de l’autre qui le poussera à découvrir le mystère de la prophétie perdue de Fatima, à se mettre à dos les autorités religieuses et militaires !

Impossible pourtant de donner la juste valeur d’un roman de Robbins en se cantonnant à l’histoire. Celui que Thomas Pynchon a qualifié de «world-class storyteller» aime le langage, la nuance et le suspens autant que la pratique du zen acrobatique sur les cadences de la syntaxe sans jamais se prendre au sérieux…
Impossible pour moi d’écrire sur Tom Robbins sans sourire d’une oreille à l’autre : une authentique expression de scotchée sur le museau, je glisse les doigts entre les pages, puis je les flaire pour en savourer l’essence, et je finis par les lécher, mmmh, sacrement psychédélique parfumé au cacao amazonien…

Stig Legrand 2002

Tom Robbins, «Féroces infirmes, retour des pays chauds», Le Cherche Midi (Ailleurs), 2001, 541 p.

 Voir l'article sur L'Humeur du Marcassin