Ferdinand et les iconoclastes


Un icono-clash annoncé

"Sans accès à la technologie, le révolutionnaire n'est qu'un farceur." écrivait Takis dans les années 70, pour Radical Software, le journal des vidéo guerilla.

Aujourd'hui, la technologie est d'autant plus centrale à notre société que le progrès scientifique et la radicalisation du système libéral ont explosé de concert : nous croulons sous les nouveaux gadgets tandis que la classe moyenne perd rapidement les moyens de les acquérir.

De plus en plus productive, la technologie pose donc problème en menaçant l'emploi de pans entiers de la population, mais assure aussi un seuil de confort dont plus personne ne veut se passer.

Cercle vicieux face auquel aucune bonne volonté d'état ne suffira, la solution exige un oeil... iconoclaste !
Ferdinand et les iconoclastes

Son existence est un non-sens…

La révolution future commence prosaïquement par l'embauche d'un jeune diplômé d'une école de commerce. Quelque chose de sérieux dans son regard, son vieil imperméable qui semble sorti du siècle dernier, touche le cœur de Mélissa des Ressources Humaines. A moins de vingt-cinq ans, Ferdinand Bataille est une recrue prometteuse pour le géant des cosmétiques, Health, Beauty, Mind & Body. Chef de produit au département hygiène-beauté, le jeune homme focalise l'attention de ses collègues féminines, mais s'avère étrangement détaché des petits scandales quotidiens du bureau.

Dans son studio de la rue de Rivoli envahi de matériel informatique, les soirées sont rythmées par sa vraie passion : l'échange de données entre chercheurs sur internet, les débats insomniaques où philosophie et sociologie répondent aux sciences exactes, quand les avancées en physique et les algorithmes génétiques ouvrent des perspectives à couper le souffle... Puis, Ferdinand explore les mondes virtuels d'Everquest jusqu'au bout de la nuit en mangeant des bananes, penché sur son clavier. Pas de quoi affoler les filles ? Et pourtant !

Ton humanité, Ferdinand, nous on se la fout au cul

Trop hésitante, Mélissa ne peut que constater le manège de l'ambitieuse Joséphine, alias JJ, qui joue tant et si bien de ses charmes qu'elle se glisse dans la vie du jeune homme en passant par le lit, puis s'incruste à long terme dans une relation basée sur l'intrigue et la manipulation. Porté par quelques coups de génie et des journées de seize heures, Ferdinand gravit rapidement les échelons hiérarchiques jusqu'au sommet de la pyramide. Alors pourquoi se sent-il déjà mort ?

Ferdinand manque d'air, il se sent vieux avant l'âge et sa vie se referme sur lui comme un piège. Comment oublier "qu'il a grandi sans enfance, s'est marié sans amour et survit sans plaisir."? Le point de fuite se trouve en altitude : c'est aux commandes de son F22 que sa mémoire s'efface, qu'il peut accélérer le temps.
"La pureté le saisit et l'extase le renverse."
Régulièrement, il décide de rompre, pour cause de vide sentimental, sa liaison désormais officielle avec Joséphine, mais c'est le corps qui le trahit : son odeur, la chair rose et moelleuse de sa langue, la pulpe de ses lèvres sur la peau de ses couilles...

"Quelquefois tout le monde a tort et on est seul à avoir raison."
L.J. Allison, président d'Oracle

Quelques mois plus tard, aux bureaux de New York, alors que Ferdinand dirige la branche US du groupe HBMB, le French Genius passe la vitesse supérieure. Contraint de licencier des effectifs malgré les objectifs atteints, sous la pression des actionnaires, ce patron d'un nouveau genre retrouve le cercle de scientifiques visionnaires des nuits de sa jeunesse, ces iconoclastes dont les idées vont bousculer le monde. La justice sociale n'est pas une idée neuve dit Ferdinand, seulement sous-estimée. Tous les éléments sont en place pour matérialiser une solution inédite : JE SAIS dit Ferdinand, JE SAIS.

Nous allons organiser la fin du travail

Après le choc de Big, le constat de Gabriel, l'amertume d'Où je suis, Valérie Tong Cuong retrouve enfin espoir en compagnie des iconoclastes. C'est peut-être seulement au moment où le système part droit dans le mur qu'une utopie peut prendre forme, et comme souvent c'est entre les pages des romanciers qu'elle fertilise les esprits. L'écriture est ferme, élastique et précise, tellement évocatrice qu'on la croirait déjà déclinée sur écran de cinéma.

Ferdinand est bien l'héritier des mouvements underground, mais il s'est affranchi des clichés et des désillusions qui ont achevé les 70's. Nous sommes dans un millénaire où la science rejoint la fiction. Humain et logiciel s'unissent pour annoncer un salutaire renversement des valeurs.

Réservons la conclusion à l'auteur d'un roman vraiment e-conoclaste : "La société qu'imagine Ferdinand, c'est une société dans laquelle le travail revient à une place utilitaire, donc réduite, et cesse d'être une valeur centrale. Ce n'est pas seulement l'ère des loisirs mais aussi l'ère de la culture, de la science, des arts et de la solidarité. C'est une société fourmillante d'activités, donc fourmillante d'objectifs individuels autant que collectifs. Comme ce n'est pas une société anarchique, il y a forcément une forme de hiérarchie, qui est le corollaire de toute organisation. C'est une utopie sociale compliquée à réaliser, mais peut-être pas impossible !"

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Lucie Guerrier - Mars 2003

Valérie Tong Cuong, Ferdinand et les iconoclastes, Grasset - Broché - 370 p, 2003

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