Il s’agit
ici du second roman du fils de John Fante, écrivain beat entré
dans la légende, que Dan évoquait dans «Les
anges n’ont rien dans les poches». Compliqué
d’écrire comme papa face à un modèle de cet
acabit, de se positionner au-delà de l’influence paternelle,
d’accepter son propre univers littéraire… Alors,
Dan Fante et son double Bruno Dante se perdent dans les méandres
des petits boulots, s’absorbent à gagner une maigre croûte
pour la dilapider en alcool, se font sucer par des mecs gluants dans
des cinémas pouilleux parce que ce n’est pas le pire, finalement.
"J'étais en train de
lire au lit en sirotant une bouteille de Ten High plutôt que de
la bière, dans l'espoir de convaincre mon cerveau de ralentir
l'allure et de me foutre la paix."
Aujourd’hui, Bruno Dante vient
d’arriver à New-York, sans un rond. Il a 34 ans et "l'alcool
est devenu le médicament dont il a besoin pour se maintenir en
équilibre". Démissionner au bout d’une
semaine à remplir des enveloppes comme esclave de bureau, se
retrouver suspendu dans un harnais à laver les vitres en haut
des tours, endimanché dans un smoking crade pour jouer les ouvreurs
de cinéma, tenir un mois derrière le volant d’un
taxi entre Brooklyn et Manhattan, c’est faisable grâce à
Workpower, on ne remerciera jamais assez les agences d’intérim.
Sauf que ça foire à chaque fois.
Et puis, finalement, un poste paraît
prometteur : concierge de nuit dans un petit hôtel. Le gîte
est assuré, les horaires sont compatibles avec les réveils
difficiles, les clients ont presque l’air humain. On se laisse
même aller à acheter une nouvelle machine à écrire
électrique pour travailler à sa pièce… Sauf
que, ça va sûrement foirer encore, parce que si ce n’est
pas la vie qui est cruelle cette fois, Bruno Dante s’en chargera.
Entre Bukowski et H. Selby Jr, le
style de Dan Fante est efficace, trash, cruel et paradoxalement plus
qu’attachant. En voyant Bruno Dante émerger et replonger,
encore et encore, tenter de tout oublier en se défonçant
davantage, certains en viendront peut-être même à
se demander ce qu’ils fabriquent depuis vingt ans dans le même
cycle de métro-boulot-dodo. Surtout s’ils n’ont pas
de roman inachevé ou de poésie maudite au fond d’un
placard… Allez, vous avez sûrement une bouteille quelque
part, et "tout bien pesé,
ce qui compte c'est de boire".
Stig Legrand mars 2005