Qui tire les ficelles ?

Editorial Idéaliste 08/2002

C
ertains éditorialistes, comme Stéphane Régy, se détendent en bord de mer, un cocktail enfoncé dans le sable, laissant vagabonder leur muse sur une actualité pas franchement motivante et trouvent encore le ton qui parvient à vous convaincre de les lire même si l’été rend faignant.

Ici, en banlieue parisienne, comment invoquer la même excuse alors que :

1/il fait aussi gris que lorsque je rêvais encore au soleil, en mars dernier

2/je suis comme toujours devant mon écran, avec le dernier refrain des Red Hot Chili Peppers sinuant hors des haut parleurs à fin d’exorcisme, car oui, je suis hantée, obsédée par leurs dernières mélodies, chœurs californiens pour réanimer le cœur d’une parisienne au mois d’août.

Vous voyez le tableau.

Les affaires du monde qui passent à la télé

Malgré le peu d’enthousiasme, il a bien fallu regarder les infos dernièrement, sur France2, sur Canal+, et même en continu sur iTélévision. Mais qu’en retenir ? Tel jour, un mignon couple de patineurs sort d’une conférence de presse où le garçon portait un sobre T-Shirt noir imprimé «Not Guilty». De sa partenaire, je retiens surtout la flamboyante chevelure. Quoi qu’il en soit, je propose de les décréter ici et maintenant innocents. Que la mafia russe ait parlé à la maman de Marina, qu’est-ce qui nous le prouve ? Ne peut-on fabriquer des pièces à conviction de toutes pièces justement, de nos jours ? Ont-ils bien patiné ? Est-ce vraiment important ? Allez savoir…

Et puis ? L’actualité internationale. Israël, carte postale de la plage de Tel Aviv, avec des baigneurs un peu tendus qui bravent les coups de soleil et les attentats avec philosophie. On se croirait bien loin de ce qui se passe dans les territoires occupés, et pourtant. Flash de Palestine, un petit groupe d’enfants accroupis sur une terrasse lézardée lèvent des yeux sérieux sur le caméraman. Et en travers de la rue, des chars dans la poussière empêchent les habitants de ramener leurs provisions nous raconte le commentateur. A Frédéric Blanc-Brude et son équipe de journalistes internationaux d’analyser cette situation qui me semble à l’apogée des situations bloquées depuis que le monde est monde.

Trait plat

J’avais bien ressenti un vague courroux en apprenant que le salaire des ministres serait relevé de 70% alors que le SMIC lui n’était pas réévalué. Mais où trouver l’énergie de fouiller plus profond avant d’entamer une diatribe sur l’injustice du système, comment décider de qui manipule qui, pourquoi et comment. Et puis, il y avait le pape s’apprêtant à béatifier des indiens lynchés par leur propre village pour avoir dénoncé les membres de la tribu qui refusaient de se convertir. Récompenser la délation, quoi de plus naturel… Et tous ces jeunes en extase pendant les JMJ, déversant leur trop plein d’absurdité en flots de larmes aux pieds de l’incarnation humaine de la sainte sénilité.

Il m’en restait un arrière-goût de surréalisme, le sentiment d’être en décalage avec la marche du monde, ou tout du moins avec sa version télévisée. Journaux, brèves et manchettes me laissaient sur le carreau, il ne me manquait plus qu’un filet de bave sur le menton pour trahir mon évidente déconnexion.

Qui tire les ficelles ?

Non, l’idée qui tentait de s’imposer à moi depuis plusieurs jours maintenant, la petite maligne qui se présentait sous les angles les plus séduisants pour effacer son incongruité, c’était de vous parler des supercordes. Beaucoup plus intéressant que l’actualité les supercordes !

Sans entrer dans les détails des théories de la physique quantique et de la relativité générale, il suffit de comprendre ce que représentent ces cordes et ce qu’elles peuvent changer dans le modèle du monde. Il faut savoir qu’elles sont fondamentales à la matière, à l’énergie, et qu’elles pénètrent tous les phénomènes de la manière la plus intime : à travers le support physique. Avec ce nouveau modèle, chacun des atomes qui composent l’univers et chacun des vôtres lecteurs, qui en êtes les particules élémentaires, décroche le gros lot car il chevauche de nouvelles dimensions !

A une échelle démesurément subatomique (le ratio [d10^-35 m] correspond pratiquement à la différence d’échelle entre un atome et l’univers), résonnent maintenant les supercordes ! Bandées comme de mini-lassos vibrants, elles génèrent les particules classiques en répondant à un rythme particulier (peut-être celui dont s’inspire les Red Hot dans leur dernier album, qui sait ?). Elles ouvrent les portes de nouvelles dimensions, six semble-t-il, dont l’une serait peut-être une autre forme de temps s’enroulant en boucle… Vos atomes s’évadent donc dans des dimensions bonus, non parallèles comme vous auriez pu le croire, mais imbriquées, représentées par un objet topologique en forme d’hélix tarabiscotées portant le nom étonnant de Calabi Yau. Vous comprenez qu’on ne me tienne plus ;-)

Il s’agit de reprendre l’actualité armés de microscopes à effet tunnel. Comme sur le magnifique site des Puissances de dix, de foncer vers nos cibles pour examiner les protons tremblotants du pape, agacer les quarks glacés dans le sillage des patineurs, dénouer les nœuds gordiens qui entravent l’harmonie des supercordes dans les relations internationales...

Cet étrange édito vous aura peut-être perdus en route, mais il suffit de le déplier comme un hypercube pour retrouver des informations tridimensionnelles moins déroutantes.

Stig Legrand

août 2002

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