Qui comprendra Madagascar ?

Editorial Idéaliste 07/2002

C
oupée du reste de la Grande Île depuis maintenant six mois, Antananarivo mettra du temps à récupérer de la joute post-électorale qui vient d’opposer Didier Ratsiraka, président sortant désavoué par les urnes, à Marc Ravalomanana, candidat atypique dont le charisme de self made man BCBG a conquis une bonne moitié de la population.

A l’issue des élections du 16 décembre 2001, les résultats semblaient aussi flous que ceux du scrutin américain, mais là où l’Amérique mit en branle une mécanique législative pointilleuse pour décompter ses voix et déterminer son président, Madagascar se prit les pieds dans son pittoresque foutoir et le pays s’affala en pleine débâcle, victime dans les termes judicieux de son hebdomadaire catholique Lakroa, d’une «double fracture de la tête».

Non que le reste de la planète ait l’habitude d’être suspendu au sort de Madagascar, pays parmi les plus pauvres du monde, qui évitait depuis toujours la noyade dans les eaux tropicales de l’indifférence par les vertus du système D et des ballons d’oxygène de nations bailleuses de fond. L’année dernière à la même époque, l’île bénéficiait par la grâce du ciel d’un sursaut d’intérêt touristique sous la forme d’une éclipse solaire. Etant au nombre des astronomes amateurs de lémuriens qui sillonnèrent le pays à la poursuite du phénomène, ne comptez pas sur moi pour une analyse détachée des évènements. Qui n’a pas goûté au foie gras Bongoût, qui n’a pas vu le chauffeur couper son moteur pour descendre les rues de Tana à bord d’une épave de 4L recyclée en taxi-bé, risque le télescopage avec l’esprit afro-asiatique du peuple malgache : cette philosophie panachée d’enthousiasme, d’initiative et d’un ingrédient essentiel, la fatalité tranquille du «mora-mora».

Le combat des chefs

De propagande musclée en démonstrations de force, le pays a beaucoup souffert : grève générale anti-Ratsiraka décrétée par les manifestants de la place du 13 Mai contre barrages routiers «anti-économiques» tendant à asphyxier la capitale et son maire Ravalomanana ; vaste opération de déstabilisation avec évasion massive de prisonniers, tentative de dynamitage d’un barrage et d’un dépôt de carburant ; intimidations ethniques à Toamasina, la capitale transitoire de Ratsiraka ; putsch avorté impliquant douze barbouzes importés de France, pillages et incendies des résidences ministérielles de l’ancien régime, échoppes braquées et marchands de rue dépouillés par des bandes de miliciens dans les provinces… Soulevé par un violent ras le bol face à la corruption endémique, l’obscurantisme, la paupérisation, la fraude électorale et la désinformation, le peuple malgache exige un réel changement de fond, preuve en est le taux de participation élevé lors du premier tour des élections.

Après vingt-deux ans de régime autoritaire sous le règne de l’amiral socialiste, Didier Ratsiraka, le bilan n’est pas brillant : enrichissement frauduleux du «roi Didier» et mainmise de sa famille sur les principaux secteurs économiques (symptôme plutôt courant dans le milieu des présidents mais si la presse va jusqu’à les comparer à la famille Sopranos, c’est qu’ils ont clairement abusé) dégradation spectaculaire de l’état du réseau routier allant jusqu’au sabotage pour favoriser le monopole des mafias locales sur l’achat et le transport des marchandises (par exemple la RN1, principal axe routier du pays, s’interrompt brutalement au plateau d’Horombé, le bitume cédant la place à des kilomètres de piste), rackets systématiques des véhicules par les gendarmes, militaires ou policiers, exactions commises ces derniers mois, la liste est longue… Un réquisitoire auquel une majorité de malgaches souhaiterait confronter l’ex-président mauvais perdant, aujourd’hui exilé à Neuilly, cet ami de Jacques Chirac et hôte embarrassant pour la France quant à ses relations ultérieures avec son ancienne colonie.

Le pouvoir de Mamie Nova-lomanana

Mais qui est son opposant et quels atouts lui ont permis de renverser le vieux cacique ? Maire d’Antananarivo depuis 1999, ce chef d’entreprise ultralibéral de 52 ans emploie 5000 personnes via Tiko, le géant de l’agroalimentaire malgache, dont les yaourts, huiles alimentaires et sodas distribués jusqu’au fin fond de la brousse sont synonyme de qualité. Issu d’une famille modeste de l’ethnie merina, Marc Ravalomanana est parti de rien pour devenir multimillionnaire, ce qui lui vaut la sympathie de ses compatriotes. Formé à l’étranger, il suit des stages en Scandinavie, aux Etats-Unis et en Suisse, reçoit en 1982 un sérieux coup de pouce de la Banque mondiale qui lui parachute 1,7 millions d’euros et ses partenaires industriels sont concurrents de la France : Unilever, Tetra Laval, l’Afrique du Sud, la Scandinavie, l’Allemagne... Ajoutez à ça le soutien des Eglises si influentes à Madagascar et la propriété d’outils de communication flambants neufs : télévision et réseau de radios privés, vous avez en main tous les composants pour réussir une campagne à l’américaine.

Celui que l’on surnomme le Berlusconi des tropiques a su rassembler les moyens de son ambition ; mélange de business et de politique, sa propagande électorale n’a rien à envier aux meilleures campagnes publicitaires. Chacun connaît son slogan, inspiré par son saint patron : «Tout est possible à celui qui croit.», mais quel est son programme politique ? «Tiako i Madagasikara» annonce le site officiel de Marc Ravalomanana, «J’aime Madagascar», il faut espérer Monsieur le Président, car le pays a vraiment besoin de plus que d’une dose de calcium fut-elle offerte par le roi du yaourt.

Depuis que Washington a ouvert la voie de la reconnaissance internationale, le 26 juin date de l’anniversaire de l’indépendance, en légitimant Marc Ravalomanana comme président de Madagascar, la grande île émerge lentement de la crise. Parce que le pays ne se relèverait peut-être pas d’une autre «démocrature» (dictature d’apparence démocratique, dans les termes du N’Djamena Hebdo), le nouveau gouvernement se devra d’être aussi idéaliste que pragmatique. Allez, salut à toi peuple malgache et bienvenue dans la world company !

Stig Legrand

juillet 2002

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