Le dernier chasseur de sorcières


Après une vie bien remplie de 686 pages, Jennet Stearne, héroïne moderne née en 1676, a rejoint le panthéon des déesses de papier qui dispensent l'aura bénéfique de leur biographie fictive sur le lectorat estampillé 2003.

Mais, il s'en est fallu de peu pour que cette femme d'exception fasse long feu sur le bûcher du dernier chasseur de sorcières.

Volonté, imagination et endurance, trois qualités dont elle ne manquait pas et qui lui furent essentielles dans la poursuite d'un projet impensable : l'abolition de la loi contre la sorcellerie.

"Le fou, l'amant et le poète ont l'imagination débordante, l'un verra plus de diables que l'enfer ne saurait en contenir…"
Songe d'une nuit d'été
Du destin ou du hasard, difficile de prouver qui porte le mieux la responsabilité quant à l'hérédité de la petite Jennet Stearne. Fille du célèbre piqueur de Colchester dont la tâche consiste officiellement, par application experte d'un attirail persuasif, à confirmer la culpabilité de ceux que l'on accuse d'avoir signé le registre de Lucifer, Jennet est aussi la nièce et l'élève la plus douée de Lady Isobel Mowbray, femme la plus intelligente d'Angleterre et grande admiratrice de Newton. Laboratoire d'alchimie, observatoire astronomique, globe de voyance et microscope, dans l'ambiance studieuse du manoir d'Ipswich, la jeune fille enthousiaste s'épanouit. Mais la résolution des théorèmes d'Euclide ou la traduction des poèmes de Virgile ne protègent pas des coups du sort.

"Quel meilleur déguisement pour un apôtre de Belzébuth que l'habit du savant?"

Quand sa chère tutrice est dénoncée puis arrêtée pour sorcellerie, Jennet surmonte son désarroi pour se précipiter à Cambridge où, du haut de ses douze ans, elle espère convaincre le grand Isaac Newton de venir témoigner au procès. "Il n'y avait d'autre tumulte qu'en elle-même, ce coeur cartésien palpitant et pulsant de ses conduits et de ses valves." Nul doute que le savant philosophe ne refuserait pas l'occasion de venir démontrer sa preuve que "les esprits maléfiques n'ont aucune existence essentielle et qu'ils ne sont que les désirs de l'esprit."

Voici comment débute l'aventure qui conduira Jennet de l'ancien monde jusqu'au nouveau, si seulement elle survit aux multiples embûches posées par l'histoire et par les hommes. Au fil des ans et des chapitres construits avec art, les grandes figures de l'humanisme post-Lumières brandiront le prisme de leurs arguments non-conformistes contre le fer rouge irrationnel des dévots obscurantistes.

A la charnière des époques, entre la fin du cycle des fantastiques ésotérismes et les premiers balbutiements scientifiques, les croyances se rejoignent dans la surenchère d'extraordinaire. C'est une lutte à mort pour la possession de la vérité universelle à coup de Malleus maleficarum et d'argumentum grande.

"...Mystérieux sont les algorithmes par lesquels la sélection darwinienne dégorge sur la terre une abondance de formes vivantes. Mystérieuses sont les circonstances dans lesquelles le déterminisme de Laplace occupe le même univers que l'hypothèse des quanta d'énergie."

Exercice d'apologétique newtonienne

Le roman est raconté à la première personne par le génial ouvrage d'Isaac Newton, "Philosophiae naturalis principia mathematica", tome mentalement énergique plus sensible aux rapports passionnés qui relient les livres entre eux qu'aux mesquineries humaines. A vous de découvrir la complicité intense qui unit ce livre pensant et sa première véritable lectrice.

"Plus denses sont les structures d'analyse de données, plus brillant est le texte." D'une grande élégance intellectuelle, le roman de James Morrow répond parfaitement à l'axiome déterminant la qualité de la conscience littéraire selon la théologie newtonienne, mais il est aussi écrit sur un ton bien vivant, et met en scène des personnages électriques comme Jennet Stearne Crompton, une femme remarquable capable de déterminer une orbite parabolique et de se lancer dans une folle croisade.

Stig Legrand - Novembre 2003

James Morrow, "Le dernier chasseur de sorcières", Au Diable Vauvert,
titre original "The Last Witchfinder ", traduit de l'américain par Philippe Rouard octobre 2003, 686 pages - 23 Euros - ISBN : 2-84626-059-1

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