La danse des paons


Avec ce second roman, Sharon Maas redonne à la Guyane Britannique une image moins étriquée que celle du biotope insalubre dans lequel se développa fin 70's, la première secte tueuse médiatique, aux mains du gourou des limonades toxiques : Jim Jones.

Ainsi, d'une petite ville bourgeoise d'Amérique du Sud au continent indien, l'auteur des Noces Indiennes trace le destin de deux demi-sœurs prises dans une relation complexe, pleine de paradoxes et de rivalité : un récit de transformation qui entraînera ses héroïnes au fond de ce que l'humanité a de pire et de meilleur.
Le récit est raconté par Rita Maraj qui tient un journal intime depuis ses six ans, quand elle vivait une enfance désordonnées et heureuse de petite fille sans mère. Journaliste désinvolte et héritier désargenté du 7 Victoria Street à Georgetown, le père de Rita se laisse prendre aux charmes de l'arriviste Marilyn, qui dès son arrivée bouleverse l'univers de la petite fille.

A force d'incompréhension, puis à coup d'humiliations, Rita est dépossédée par sa future belle-mère de ses animaux, du droit à son caractère fantasque, de ses illusions, et pire de sa place dans le cœur de son père. La fillette se cache des adultes dans la rêverie, mais reste bien lucide pour confier à son journal : "Papa a dit que j'allais avoir une nouvelle maman, mais tout ce que j'ai eu c'est une catastrofe."

Mais Rita aime la vie, a bon cœur, et de l'imagination. Quand naît une petite sœur après quelques années, elle fond instantanément. Elle qui recueillait toutes les ailes cassées et truffes galeuses du quartier ; elle qui élevait fourmis ou têtards, s'offre corps et âme au bébé Isabelle. Cette baby-sitter à demeure convient fort bien à une belle-mère aux nerfs fragiles et à l'instinct maternel incertain. Désormais, celle-ci peut se consacrer à construire cette façade de respectabilité si importante à ses yeux pour briller en société.

Toute sa vie, Rita se sentira responsable d'Isabelle, surtout depuis l'accident auquel l'enfant survit de justesse à l'âge de quatre ans. L'adolescence confirme la force du lien qui unit les deux jeunes filles, malgré la souffrance des premiers flirts qui soulignent sans merci ni complaisance les différences entre la solide aînée et sa jolie cadette, Isabelle. Marilyn ne fait pas de secret de sa préférence toute naturelle envers sa fille de sang, indienne de race pure, héritière légitime face à Rita la sang mêlée. Et le reste du monde semble bien la suivre sur cette voie puisque les garçons du voisinage n'ont d'yeux que pour Isabelle, l'avenir ne paraît sourire qu'à elle, future reine de beauté, et qui sait, un jour future princesse de légende ?

Ecrivant désormais pour le journal local, l'intelligente Rita est partagée entre son exigence d'intégrité et les concessions qu'elle est forcée de faire. Elle n'est pas dupe quant à la nature manipulative de sa sœur. Elle est pourtant incapable de lui refuser son aide et sa présence, culpabilité et pitié envers Isabelle triomphent de toutes velléités d'indépendance.

Princesses de la rue

La situation bascule quand un mystérieux messager venu de l'Inde, arrive porteur d'un message surprenant. Qui est Kamal, dernier héritier d'une tradition hindouiste venue d'un autre âge ? Loin des palais de maharajas, c'est à Kamathipura, quartier chaud de Bombay, que le combat de Kamal prendra tout son sens : chercher sans jamais perdre espoir, chercher pour sauver Asha, une enfant perdue sur les trottoirs d'une ville qui n'a rien à envier aux cercles de l'enfer.

Donnant voix à des personnages intenses et dotés d'humour, suivis depuis l'enfance jusqu'à la maturité, Sharon Maas évoque ce lien qui connecte l'humanité sous des formes innombrables. Chatoyante et colorée, la palette des sentiments se déploie avec la grâce inconsciente de la queue du paon en parade. Abnégation, jalousie, amertume, compassion, toutes ces nuances de l'émotion sauront-elles renaître après avoir été traînées dans la fange sans couleur de l'abomination ?

Les héros vont traverser l'abîme le plus sombre de la condition humaine : la détresse d'enfants abusés et exploités sexuellement à Bombay, petites filles du sida dépeintes avec réalisme, avec l'impudeur née de l'absolue nécessité. Dans cet univers de castes, Sharon Maas interroge alors la valeur des filles, la place des femmes dans cette société moitié misère, moitié mystique d'apparat.

Comment survivre à la souillure, comment transcender l'insoutenable, trouver ses racines et sa voie dans la vie : voici les épreuves que devront surmonter les protagonistes de ce roman qui pose des questions difficiles en conservant un rythme et une tonalité naturels.

Stig Legrand - Juillet 2003

Sharon Maas, "La danse des paons", Flammarion, mai 2003,
traduit de l'anglais par Martine Leroy-Battistelli
501 pages; 20 Euros, ISBN : 2-08-068236-9

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