Autobiographie d'une Courgette


Peut-être que sa mère ne parlait plus qu'au poste de télé depuis que son père était parti faire le tour du monde avec une poule, mais c'était pas une raison pour jouer avec des armes à feu.

Et pourtant, quand on a neuf ans, c'est pas facile tous les jours de se contenter de changer les canettes de bière au pied du canapé, alors, on va parfois dans la chambre, et on fouille dans les tiroirs, et on trouve un instrument pour se venger comme dans les films policiers : un revolver pour crever le ciel, pour calmer sa maman, pour de bon.

Arrête de faire le cornichon !

Il s'appelle Icare, mais tout le monde l'appelle Courgette. Quand Raymond le gendarme lui retire le revolver des mains, il croise le regard d'un petit garçon au bout du rouleau qui semble bien mal parti pour s'envoler vers la vie. Un saut au commissariat et Courgette l'orphelin est placé aux Fontaines, foyer d'accueil tenu par Madame Papineau tout près de Fontainebleau.

Les murs du château des Fontaines ne sont pas là pour enfermer les sales gosses. Ils protègent plutôt des enfants traumatisés, qui se serrent les coudes pour oublier que leurs parents leur manquent, ou qu'ils redoutent leur famille plus que tout au monde.

Coquards au cœur, cicatrices indélébiles et bobos de toutes tailles que l'infirmière ne sait pas toujours guérir, et qui préoccupent les psychologues. Rosy fait partie des zéducs et elle nourrit ses petits pensionnaires d'un amour aussi gros que son derrière et que ses préjugés. Au foyer d'accueil, Courgette partage une chambre avec Simon et Ahmed, qui de bagarres en confidences vont devenir ses premiers vrais copains.

C'est beau l'amour

Il y a aussi Béatrice et Alice, deux fillettes tendres et meurtries, les frères Chafouin et leur complicité à base de jeux incompréhensibles, le gros Jujube qui compense avec son appétit, et surtout, il y a Camille. Camille c'est un ange, et quand elle regarde Courgette avec ses yeux très très verts, il devient aussi rouge qu'une tomate. Entre Courgette et Camille, il y a plein de bisous secrets, des aventures où on se perd dans la forêt, des punitions partagées et un présent tellement heureux qu'il pourrait même avoir de l'avenir. Mais seulement si Camille échappe à sa sorcière de tante…

Quand le chauffeur du bus chante une chanson de Sheila, encore plus fort que sa cassette, quand un chat errant décide de se laisser faire par la plus timide des petites et de s'installer comme chez lui aux Fontaines, quand les enfants préparent un anniversaire, on dirait vraiment qu'on peut croire à la vie, que les grands ne racontent pas que des mensonges quand ils disent que tout ira bien… Tout compte fait, il suffit parfois d'un peu beaucoup d'amour pour changer les citrouilles en carrosse et les malheureux en Courgette.

Gilles Paris mange le morceau

Peut-être que Gilles Paris n'est pas tellement différent de l'homme que Courgette imagine devenir quand le petit garçon s'écrie : "Moi, quand je serai vieux, j'aurai toujours dix ans et je poserai toutes sortes de questions idiotes et j'aurai pas une seule ride."

Cette autobiographie est écrite avec des mots d'enfant, pari difficile à tenir mais qui d'une contrainte de style fait surgir une vraie liberté innocente. Qui d'autre que Courgette aurait pu ouvrir des yeux aussi curieux sur le monde, rire à gorge déployée de la joie toute simple de le découvrir et céder aux grosses larmes qui débordent quand il s'aperçoit qu'il est aimé ?

Non, tous les enfants n'ont pas rendu leur costume de super héros optimiste au vestiaire de l'adolescence, il y a des adultes qui osent toujours porter un regard émerveillé sur la capacité des gosses perdus à transformer l'autopsie du malheur en autobiographie rigolote. Il y a vraiment des grands pour écrire des contes modernes plein d'humour. Il y a même des écrivains qui croient encore au secret des barbus…

Stig Legrand - Mai 2003

Autobiographie d'une Courgette, Gille Paris, Plon 2002, J'ai Lu 2003
255 pages ISBN : 2-290-32434-5

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