Dzzouinngg-Dzzouinngg-Dzzouinngg
!
Cette plongée dans la culture japonaise
s'avère largement plus complexe que les sushis au néon, les mangas à
couettes ou les jardins zen aisément identifiables. Pas l'ombre d'un
Pokémon entre ces lignes qui mélangent références à Balzac, au folklore
nippon, avec des nains Fukusuke, des divinités daikokuten-kisshô-tennyo,
le poète Natsume Sôseki, le héros Urashima Tarô ou encore renvois à
Camus !
Le monologue frénétique entre conscient
et inconscient d'un jeune homme déçu du monde et de lui-même est servi
par une langue au parlé étrange, bousculée d'onomatopées et de gouaille
un peu surannée : "Faut dire… Kitada n'était plus qu'une lavette
tiède, Abe le jean-foutre qu'on a vu, conclusion : qui est-ce qui va
y aller de sa poche pour régler la course ? Moi-mézigue, bien sûr."
Déboires, bitures, déception des
sentiments, refus des conventions, la fragilité du fils raté d'une famille
de fabricants de porcelaine en faillite est flagrante. Et pourtant,
sa pensée bourdonne d'activité, il fonce comme un Zatoichi sans sabre,
aveugle, peuplé de visions intérieures démoralisantes où sa vie lui
semble envahie de poussière et de bestialité.
"Personnellement, je n'ai jamais supporté la présence de tout ce
qui est instrument ou appareil prétentieux, et je m'en explique : si
je prends le cas, disons, d'un de ces appareils qui servent à griller
le poisson, eh bien, la présence sous mes yeux de cet objet d'un haut
degré de prosaïsme et de ridicule me donne l'impression d'avoir, matérialisé
devant moi, mon désir mesquin de me griller un petit maquereau des familles,
s'ensuit alors que le froid que j'ai en moi s'enfle progressivement
aux dimensions de tout mon quotidien, que mon dégoût naturel de la vie
et de mes semblables grandit irrésistiblement dans mon cœur et me file
le cafard, voilà."
Un tag sur le rideau fermé de la
boutique de souvenirs du lac Onokoro, au terminus d'un voyage en car
annonce : "Destruction de l'âme. Tel est notre jugement." et
Klaus Nomi attend, dans un costume de réceptionniste, perdu au bord
de nulle part.
Malgré l'aigreur, les rivalités,
l'impression de nullité et d'injustice, les obsessions morbides, l'humour
transparait, page après page, rue et cavalcade en traînant derrière
lui tout reste d'apitoiement et de sérieux.
Réceptions, soirées dans les pub-nuisettes
de Furumachi, la vie bat son plein à coup de mémorable karaoké surréaliste,
en Grande Mascarade festive. "Pendant tout ce temps, l'octuple tambourinade
s'était poursuivie au même rythme démentiel, tandis que, à l'inverse
des artistes en pleine ivresse, la plupart des gens ici présents et
normalement constitués paraissaient estimer, à mon propre exemple, que
c'était 1 : incompréhensible ; 2 : loufoque ; 3 : indécent ; 4 : sinistre
[…]."
Conclusion, sous la belle couverture
aux hiraganas fluo tièdie de tâches thermiques, un texte échappe aux
clichés, brouille les perceptions et présente une vision des plus personnelles,
qui peut finir par déclencher un certain mal de tête.
Stig Legrand juillet 2004