Le Chant du Drille


Même si l'espèce humaine a gagné près d'un siècle de longévité et vit désormais 200 ans, elle semble n'en avoir retiré ni sagesse ni empathie si on constate la dégradation des rapports avec le peuple Drille sur la petite planète Taheni.

Est-ce l'inévitable corollaire des systèmes administratifs humains, hypertrophiés jusqu'à l'échelle stellaire comme la fédération homéocrate, de développer les métastases de la corruption ?

Le caractère bien trempé de Lodève Dalellia, inspectrice générale des Colonies, venue enquêter sur ce qui se cache derrière l'affaire des Drilles, devrait rapidement semer la pagaille dans le jeu d'influences Tahenite et provoquer la réponse à cette hypothèse.
Ni joyeux drilles, ni gais lurons

Si Lodève prend cette mission à cœur, ce n'est pas seulement par professionnalisme : elle est sur les traces d'un vieil ami disparu, l'écrivain Vernang Lyphine. Eloquent Lyphine qui racontait si bien la nature Tahenite dans ses rares lettres, et l'instant quotidien si précieux du Chant du Drille : "un délire d'individualités sonores dont chaque mélodie est délicieuse et entière, et dont le tout est le plus cohérent des univers musicaux."

Mais depuis cette dernière année, les Drilles se comportent de manière aussi incompréhensible que traumatisante pour les colons : par centaines, par milliers, ils viennent s'asseoir aux portes des villages et se laissent lentement mourir.

Qui est le drille ? Est-ce simplement une sorte de lémurien à instinct de lemming comme l'affirme Dwin Em-Sawali, vétérinaire proche de Vernang Lyphine ? Ou "ce délicieux petit animal qui nous singe jusque dans le mépris, une sorte de dauphin bipède qui aurait oublié de rire et que nous intéressons dans la seule mesure où nous contribuons à son extinction" ?

Il faut bien admettre que personne ne communique vraiment avec ces créatures depuis que l'espèce a été exclue de la nomenclature xénologique des races intelligentes à l'issue d'examens scientifiques quelque peu hâtifs. Ainsi fût signé le destin de Taheni, ouverte à la colonisation faute d'espèce autochtone reconnue aux normes.

Pourtant, dans le village reculé de Turquoise, Elvie, la jeune muette, présente des talents empathiques et télesthésiques qui la poussent vers la forêt et la communauté Drille. Et que penser du mythe du Mandrill, réel médiateur inter-espèce ou simple légende ?

Expansion, Croissance, Avidité…

Première oeuvre d'Ayerdhal, d'abord parue en deux volumes dans la collection Anticipation du Fleuve Noir, Le Chant du Drille n'est pas aussi développé que les Chroniques d'un rêve enclavé, précédent roman édité Au Diable Vauvert, mais on peut déjà y deviner la griffe libertaire de l'auteur et son leitmotiv écologique et politique.

Bien qu'il n'y soit fait aucune mention des romans Mytale et La Bohême et l'ivraie, entre lesquels se situe chronologiquement ce thriller environnemental, l'univers homéocrate et ses lois paraissent déjà bien posés dans l'esprit d'Ayerdhal ce qui stabilise le cadre du roman.

Sur fond d'enquête xénologique, Le Chant du Drille entraîne le lecteur dans la foulée d'une héroïne attachante (justement parce qu'elle n'essaie pas de l'être), à la recherche des signes de conscience d'une race indéniablement étrangère. Pas de quoi mourir d'ennui, même si les drilles ne semblent pas d'un enthousiasme marqué pour l'existence...

Stig Legrand - Janvier 2004

Ayerdhal, "Le Chant du Drille", Au Diable Vauvert, novembre 2003, 358 pages; 21 Euros ISBN : 2-84626-062-1

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