Bonheur, Marque Déposée

"Avertissement au lecteur. Ceci est un livre sur la fin du monde, et en tant que tel, il traite de recettes diététiques, de maîtres à penser, d'évadés de prisons qui rampent dans des égouts, d'éditeurs débordés, de l'effondrement de l'économie nord-américaine et de la culture extensive de la luzerne. A un moment, je crois, il y a aussi quelqu'un qui perd un doigt."

Si on se fie à ce prologue saugrenu, le Canadien Will Ferguson semble y être allé fort pour son premier roman.

Encore inconnu en France, ce nouvel auteur ne devrait pas le rester longtemps car pour peu que le lecteur se risque à soulever la piètre couverture pondue par les éditions Belfond (piégées par le paradoxe crispant de l'éditeur mis en abyme dans ses failles les plus criantes ?), fous rires et pléthore de nouvelles expressions cosmopolites devraient intriguer ses camarades bibliophages.
L'illusion des régimes et le régime de l'illusion

C'est le récit d'une catastrophe, qui commence aux éditions Panderic, entre les mains d'Edwin de Valu, directeur de collection surmené et sous-payé dont le bureau croule sous de hautes piles de manuscrits qui menacent de déborder de son cagibi au fond du département "Développement personnel".

Impossible de tous les lire et c'est presque sans amertume qu'Edwin glisse les lettres de refus dans les enveloppes timbrées à l'adresse de l'expéditeur. Sa tâche se résume à : ouvrir, parcourir la première phrase de la prose enthousiaste accompagnant la prochaine prescription aux mille maux de l'humanité, refuser et cacheter. "Dire que des arbres avaient péri pour ça."

Comment atteindre l'équilibre intérieur ? Perdre du poids ? Améliorer ses performances sexuelles ? La meilleure manière de capter la félicité et de faire chanter l'argent ? Et la réunion pour préparer le catalogue d'automne qui est dans moins d'une demi-heure…
Quel sera le prochain best-seller pour décérébrés insatisfaits, voilà la vraie question et il faut vite une réponse qui sauvera le poste d'Edwin, dans la ligne de mire de la direction.

Tombé du ciel de tout le poids de ses deux mille pages non chapitrées, la solution porte le titre bien trop long de "Ce que j'ai appris sur la montagne" et la signature de l'insaisissable gourou Vitthal Chakjur. La question est maintenant : Que se passerait-il si un livre de développement personnel universellement efficace était publié ? Car c'est bien de ça qu'il s'agit et le monde ne sera plus jamais comme avant.

Nemo Saltat Sobrius

"Les hommes sobres ne dansent pas" écrivait James Boswell au XVIIIème siècle, et le nouveau visage de l'humanité rayonne d'un calme sidéral qui donne le frisson. Où sont passées les émotions qui sont le sel de la vie ? Ces sentiments intraduisibles dont est tissée la palette de toute société, du "Mbuki-mvuki : mot bantou qui signifie se débarrasser spontanément de ses vêtements et danser nu de joie" à "Mono-no-awaré : La tristesse des choses chère à l'âme des japonais"…

Satire débridée conjuguée à une réflexion sur le besoin d'utopie, la genèse du dogme, la quête du bonheur et l'affirmation de la liberté, cette première comédie confirme le talent de Will Ferguson qui avait déjà réjoui les lecteurs anglophones avec Hokkaido Highway Blues, récit de voyage à la force du pouce, poursuivant la floraison des cerisiers à travers le Japon.

Tout d'abord paru outre Altantique sous le titre de "Generica", puis de "HappinessTM", "Bonheur Marque Déposée" méritait mieux que cette collection "Mille Comédies" où ce prometteur hybride de Tom Robbins et de Carl Hiaasen côtoie des accros du shopping comme "Becky à Manhattan" de Sophie Kinsella ou des boulimiques de la presse people dans "Alors, heureuse ?" de Jennifer Weiner.

A moins que ce roman, pas totalement dépourvu de clichés, ne soit en fait un virus pour refiler des envies d'absolu aux bimbos…




Stig Legrand - février 2004

Will Ferguson, "Bonheur, marque déposée", Belfond, sortie octobre 2003, 409 pages; 18,50 € - ISBN : 2-7144-3925-X.

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