"Voici Big Brother,
qui chante et qui danse, et qui vous nourrit de force de sorte que jamais
votre esprit ne crie suffisamment famine pour penser."
Carl Streator, le narrateur, est journaliste,
abonné aux articles de fond. Chargé d'une enquête sur le phénomène de
la mort subite du nourrisson, il a lui-même perdu sa femme et sa petite
fille dans des circonstances incompréhensibles. Il griffonne chaque détail
sur un calepin auprès de berceaux vides, dans les salles de bain de parents
endeuillés, et découvre le détail commun à toutes ces scènes de désespoir
: un livre de comptines et rimes du monde entier, ouvert à la page 27.
C'est une berceuse d'Afrique, indolore
et fatale. Une chanson d'élimination, mortelle envers ceux à qui on la
raconte pour abréger leur souffrance. Elle se loge dans la mémoire de
Streator. Chargé de furie, de chagrin, de l'indicible horreur d'avoir
tout perdu de sa vie, Streator est un baril de poudre ambulant qui a de
plus en plus de peine à maîtriser ses pulsions.
"Et voici Big Brother qui chante et qui danse
pour que je ne me mette pas à trop penser pour mon propre bien."
Il rencontre alors Helen Hoover Boyle,
agent immobilier spécialisée dans la vente de maisons hantées. Tirée à
quatre épingles, rutilantes d'ors et de joailleries aux couleurs métaphoriques,
Helen est une charmante cynique avec ses propres gouffres à fleur de peau.
Elle lui confirme l'impact de la berceuse et l'existence d'un Livre des
Ombres renfermant tous les sorts. Tous les dangers et tous les espoirs…
La jeune secrétaire d'Helen, Mona
Sabbat, est une fervente new-age, pratiquante du Wicca avec son copain
Oyster, un rasta écolo-radical insupportable. "Juste au-dessus de l'encolure
orange de sa robe, au-dessus de sa clavicule droite, elle porte tatouées
trois minuscules étoiles noires."
Ensemble, avec des buts différents,
ils vont s'embarquer dans une traque aux exemplaires de la comptine à
travers les Etats Unis. Mais peut-on museler une infection psychique lorsqu'elle
a commencé à se répandre à l'ère de l'information ?
Deux générations dans une voiture,
un road story à la Chuck Palahniuk, la quête d'un graal impie par une
famille factice : 300 pages de tension, de péripéties, de remarques cinglantes
et de miracles.
"Chaque génération veut être la dernière."
Oyster
Avec son humour sardonique, ses images
chocs, son intrigue explosive et sa morale déstabilisante, Berceuse va
contaminer la mémoire des lecteurs. Bien que très lisible, c'est un texte
qui se mérite car certains passages sur les bébés morts ou sur les abattoirs
sont difficiles à supporter. Mais la vie est cruelle, et "tuer les
gens qu'on aime n'est pas la pire chose qu'on puisse leur faire".
Sur une thématique de pouvoir, voici
une Berceuse sous-tendue de colère et d'émotion, écrite par la main de
gauche de Palahniuk sur un parchemin de peau humaine. Passionnante pour
les fans de Fight Club tout comme pour ceux qui y découvriront un nouvel
auteur.
Stig Legrand - Juillet 2004
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Chuck Palahniuk, " Berceuse ",
Gallimard La Noire, mars 2004,
336 pages, 22 € - ISBN : 2-07-076649-7
Traduit de l'américain par Freddy Michalski
Version Poche US : Anchor Books/Doubleday, juillet 2003,
272 pages, 13,95 $ - ISBN : 0385722192
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