Histoires mystérieuses


Jusqu'à ce qu'Isaac Asimov se penche sur le problème, l'opinion faisait un blocage quant à l'idée d'associer les genres policier et science-fiction. L'argument principal opposé à cet accouplement perçu comme contre-nature, était que l'auteur pouvait piocher dans son imagination n'importe quel gadget futuriste pour résoudre l'énigme et justifier une intrigue peu crédible.

Le lecteur averti craignait les coups tordus, mais Asimov ne se laissa pas impressionner par ce raisonnement. A son avis, un auteur pouvait se montrer déloyal et truquer ses indices même en écrivant du roman policier classique. La liberté de l'auteur ne s'arrêtait qu'au respect intellectuel qu'il devait à ses lecteurs, et c'était le défi qu'il releva en 1953 avec le livre fondateur de cet hybride littéraire : "Les Cavernes d'acier". Consolidé d'un second roman "Face au feux du soleil", le genre s'étoffa d'une dizaine de nouvelles sous la plume asimovienne entre 1954 et 1967, nouvelles rassemblées chronologiquement en ces recueils d'Histoires Mystérieuses.
Elémentaire, mes chères particules

Non, il ne suffit pas de confier l'enquête sur l'accident de la navette Colombia à l'inspecteur Colombo pour obtenir de la science-fiction policière. Malgré quelques obsolescences technologiques, les nouvelles d'Asimov exploitent habilement les artifices de la relativité, les propriétés physiques d'environnements bien campés et surtout une logique qui, une fois démontée, s'avère imparable.

Circonvenir les malfrats et démasquer les criminels intergalactiques, reconstituer les puzzles temporels et résoudre les énigmes stellaires les plus embrouillées, la police fait régulièrement appel aux déductions de l'excentrique Professeur Wendell Urth. Ce détective en pantoufle préfère la réclusion de son confortable bureau aux investigations sur le terrain, mais son érudition en matière d' us et coutumes extraterrestres n'est plus à démontrer.

Sa silhouette adipeuse apparaît pour la première fois dans la nouvelle Chante-cloche. Malgré l'invention de la psychosonde, la police terrienne sollicite l'aide du Dr Urth car le meurtre qui vient d'être commis sur la lune a tout du crime parfait. C'est l'occasion d'entrouvrir la collection d'artefacts rares du Docteur, et elle s'accroît à chaque fois qu'il confond un truand.

Isaac Asimov agrémente ses nouvelles d'un ante ou d'un post-scriptum qui relate les circonstances d'écriture. Ce sont de précieuses petites fenêtres temporelles qui permettent non seulement d'approcher le grand écrivain, mais éclairent souvent les histoires d'un contexte appréciable et prêtent à sourire. L'auteur y prend en compte les observations des lecteurs à posteriori et se range à leurs arguments en faisant montre d'humour et d'humilité lorsqu'elles pointent une faille (comme par exemple un certain manque d'empathie avec la pauvre siliconite de La Pierre Parlante, récit dans lequel intervient encore le Professeur Urth), ou défend ses positions avec ardeur.

Les nouvelles rassemblées ici ne sont pas toutes d'un niveau égal, et toutes n'appartiennent pas à la science-fiction policière à proprement parler. Le Patronyme Accusateur qui met en scène un meurtre entre bibliothècaires joue plutôt sur les termes scientifiques, et n'est pas très convaincant.

Par contre La Cane aux Œufs d'Or est une pure merveille d'humour et de surréalisme. Pâté de Foie Gras, dans son titre original, traite avec le plus grand sérieux du problème d'un volatile mutant à la ferme MacGregor, capable de catalyser des réactions nucléaires produisant des isotopes aurifères. Le désarroi des scientifiques gouvernementaux devant les capacités de l'animal, l'érudition manifeste en matière de thermodynamique et de physique élémentaire, la chute inattendue du récit, tout se combine pour un résultat hilarant.

Moins de trois pages pour un paradoxe temporel et un calembour avec Cache-cash ; une aventure à la James Bond, A Port Mars sans Hilda, qui met en scène une demoiselle affriolante, preuve qu'Asimov est capable de tout écrire quand il le veut ; Au large de Vesta, sa première nouvelle publiée avec une solution digne de MacGyver et Anniversaire, son corollaire écrit vingt ans après ; retour du Dr Urth dans l'enquête entre scientifiques meurtriers de Mortelle est la nuit et absence regrettable du détective dans La Poussière qui tue, laissant l'inspecteur Davenport se débattre face à l'assassinat d'un chimiste tyrannique ; paradoxes mortels du voyage dans le temps pour Le Carnet Noir ; poursuite aux confins de la galaxie à La bonne étoile ; décryptage oulipiens par le Dr Urth dans La Clef ; rivalité scientifique pour révolutionner l'espace-temps dans La Boule de Billard pour conclure.

Voici donc un recueil qui viendra compléter la collection des lecteurs fidèles d'Asimov, et qui permettra aussi aux novices d'ouvrir une porte sur les débuts d'un des plus grands auteurs de science-fiction dont les thèmes gardent toute leur fraîcheur.

Stig Legrand - Mai 2003

Isaac Asimov "Histoires Mystérieuses" Folio SF - 438 pages (2003)
Editions Denoël, 1969, pour la traduction française ISBN : 2-07-042680-7

 Voir l'article sur L'Idéaliste Littéraire